Round 3 !
Précédemment dans cette série, je vous ai parlé de l’importance des règles, de crashtests et de théories rolistes (LNS, atomistique). Et surtout, j’avais fait la promesse de vous parler de playtests et de système complet.
Et bien… J’ai menti ! Ou plus précisément, je ne vais pas en parler pour le moment car j’ai deux trois trucs à dire pour compléter l’article précédent.
Aujourd’hui, je vous présente une autre manière d’analyser les parties de JDR et je vais donner quelques exemples de mécaniques en fonction des distinction LNS ou atomistique (le SAV de l’article précédent).
Petit disclaimer avant de commencer: lorsque je parle de cadre Narrativiste, Ludiste, etc., je parle en fait de cadre privilégié. Gardons en tête que les grilles d’analyse LNS, atomistique ou linguistique n’ont pas pour vocation de mettre des jeux entiers dans des petites cases. Voyons tout cela comme un spectre dans lequel un jeu, des mécaniques de jeu, des systèmes, peuvent s’inscrire en prenant plus ou moins part à certaines tendances.
Voilà c’est dit… Aller, c’est parti pour ce présent article !
Je vais commencer par vous parler d’une de mes découvertes récentes.
Le Gameplay Linguistique
Oulalala, c’est quoi ces mots barbares ? Encore un truc de jargoneux qui veulent branler des mouches ?
Presque…
En fait, c’est une autre manière de voir le JDR, une autre grille d’analyse. Je l’ai découvert en écoutant ce podcast de la Cellule. Le sujet est passionnant mais le podcast est très peu digeste de par la complexité du sujet et les digressions des animateurs. Bref, c’est touffu et surtout c’est difficile à la première écoute d’appliquer cela à notre processus de création.
Pas de panique, je vais essayer de vous dire ce que j’ai capté du bousin et surtout ce qu’on peut en tirer en terme d’ingénierie du JDR.
En fait, tout part de quelques constats:
- Une partie de JDR est une discussion entre personnes ;
- Cette discussion fait référence à des éléments qui ne sont pas forcément « réaliste » et qui ne décrivent pas « le réel » ;
- Il y a donc un lien entre ce qu’on dit et ce qu’on voudrait désigner. Et ce lien ne va pas de soi, dans le sens où il nécessite un effort de la part des participants (d’écoute, d’empathie, de références culturelles par exemple).
- D’autant plus que la fiction est issue d’un imaginaire commun et que parfois le rôle des participants n’est pas toujours clair (sur qui a le dernier mot sur les décors par exemple).
Par exemple, dans une partie de JDR, si je dis
« Le chevalier s’avance et tire son épée »
on peut se poser pleins de questions:
- A quoi ressemble exactement le chevalier ? Si ça se trouve je l’imagine avec une armure de plaque et mon voisin l’imagine avec une armure légère. Je pense à Kaamelot, il pense à un vrai chevalier de la Table Ronde, etc.
- Est-ce que les joueurs peuvent discuter entre-eux en méta pour clarifier à quoi ressemble le chevalier ? Ou pas ?
- On a dit qu’il avait une épée avant ? Si non, qui décide si c’est valide ? Le MJ ? Si je propose cela en tant que joueur, comment cela va-t-il être perçu à la table ? C’est du forçage ? C’est légitime ?
- Et si c’est super dramatique et important qu’il ait à ce moment précis une épée ? On accepte ? (Dans ce cas, on est dans un cadre Narrativiste de la théorie LNS… Suivez un peu les gens du fond 🙂 )
Et c’est là qu’on voit que le jeu (avec ses mécaniques, son système, son univers) auquel on joue va grandement influencer la manière dont on va parler à la table.
C’est là qu’entre en scène le Gameplay Linguiste : la manière qu’on a de jouer en ayant une conversation autour d’une table.
Aller, un exemple de gameplay linguiste:
Dans un jeu où le MJ a le contrôle de l’univers et les joueurs le contrôle de leur personnage:
- Les joueurs formulent des énoncés (« je monte sur l’échelle », « je m’avance et tire mon épée », etc.)
- Le MJ analyse les énoncés avec sa grille d’interprétation personnelle et reformule (« OK, tu montes sur l’échelle », « OK mais ton épée reste bloquée dans son fourreau car elle était rouillée par votre précédente bataille contre le dragon des mers », etc.) (PS: tient dans cette dernière phrase, les joueurs jouent en mode S de la LNS ! On suit les gens du fond ? 🙂 )
Dans cette dynamique de jeu, un gameplay possible est de tenter de convaincre le MJ que l’énoncé qu’on formule est valide dans la grille d’interprétation du MJ:
« Hey mais si c’est logique que mon PJ connaisse des gens dans cette ville: il y est né et a fait parti de la mafia dans sa jeunesse ! »
« Mmmm OK, tu connais un type qui s’appelle Sergio le Borgne ! »
Ce gameplay linguistique est particulièrement intéressant pour mettre les joueurs dans une position de confrontation, par exemple pour des jeux d’horreur ou d’aventure.
Allez, un autre exemple, dans le monde des jeux indépendants. Dans (le magnifique) Prosopopée, on joue des sortes de sages qui doivent ramener l’équilibre dans le monde. C’est un jeu pacifique et zen avec un ambiance à la Mushishi: un pur régal ! Dans ce jeu, une partie des joueurs incarne chacun un personnage tandis que les autres n’en incarnent pas. Pourtant chacun peut avoir le dernier mot sur les décors et les figurants: il n’y a pas de confrontation joueur/MJ dans Prosopopée. Par ailleurs, une mécanique du jeu stipule qu’à tout moment un joueur peut donner un jeton à un autre joueur s’il a aimé ce qui a été dit.
Dans le cas de Prosopopée, la mécanique d’offrande de jetons induit un gameplay linguistique très précis:
- Chaque joueur peut dire ce qu’il veut.
- Néanmoins, il y a pas ou peu de discussion méta pour se mettre d’accord et clarifier les énoncés des uns et des autres.
- Du coup, chaque joueur collabore pour être le plus clair possible, mais un flou reste qui permet à chacun une multiplicité d’interprétation, ce qui facilite l’émergence poétique.
- C’est donc les règles sur la discussion (Tout le monde dit ce qu’il veut + Pas de discussion méta) qui favorise la poésie de ce jeu.
Prosopopée = Altruisme +Poésie… Tient c’est l’un des propos du jeu ! Ca c’est une sacrée coïncidence (ou pas) !
Bon, vous avez saisi le truc ! Du coup, quand on a dit ça, on se rend compte qu’on peut créer des systèmes de jeu qui favorisent un certain type de gameplay linguistique. Et c’est toujours cool d’être aware !
Bon bon bon. Maintenant passons à la pratique !
De la théorie au game design
Maintenant qu’on a parlé de théorie, de LNS, d’atomistique et de gameplay linguistique, on peut tenter d’appliquer ce qu’on a appris pour nos jeux. Je vais reprendre ces 3 méthodes d’analyser les jeux et je vais donner des exemples de mécaniques possibles pour émuler ces tendances.
On pourra alors faire des crashtests pour voir si ces mécaniques ont l’effet voulu.
Attention, petit disclaimer: associer une seule mécanique à un effet désiré n’est peut être pas suffisant ! C’est là qu’entre en scène la notion de « système » ou « d’écologie » dans le jeu. Je vais en parler en détails dans l’article suivant. Gardez en tête que cette méthode peut fonctionner dans l’absolu mais qu’il faudra souvent associer plusieurs mécaniques pour avoir l’effet désiré !
Aller, c’est parti:
Je veux que les joueurs s’entraident pour surmonter des défis.
On veut donc que le gameplay linguistique se centre autour de l’écoute et de prises de décisions éventuellement par consensus. Si on veut des défis de type Ludiste (LNS) / Tactiques (atomistique), on peut mettre en place:
- des systèmes de combos à la DD4 (plus de dégât sur une cible étourdie, si tu « taunt » le monstre je peux le « dps » rapidement, etc.)
- de magie élémentaire (feu > glace donc tu peux lui mettre le feu et je te booste avec mes sorts de soutien)
- des phases de discussion tactique en amont d’une bataille, puis on donne des ordres qui seront exécutés quoiqu’il arrive (en mode séquentiel)
- etc.
PS: à contrario, si on veut une compétition entre les joueurs, tout en gardant le côté « surmonter les défis », on peut mettre en place des systèmes de niveaux, d’XP donné à celui qui donne le coup décisif au monstre, etc.
Je veux que les joueurs s’entraident pour raconter une belle histoire.
Même gameplay linguistique que précédemment: écoute et entraide ! Dans ce cas, on va vouloir se placer plutôt dans un cadre Esthétique (atomistique):
- Pas de meneur ou meneur avec une autorité moindre
- Un système d’écoute, d’approbation des énoncés des autres ou de réinvestissement des énoncés des autres, etc.
Je veux que les joueurs se confrontent à un monde difficile et qu’ils ne peuvent pas contrôler.
C’est le modèle du jeu « trdi » avec un MJ Dieu…. Dans ce cas,
- on peut penser à un MJ fort avec qui il va falloir négocier dur pour avoir des objets qui auront des stats de merde
- on peut mettre en place un système d’attrition pour forcer les joueurs à négocier
Je veux que les joueurs face des choix moraux difficiles.
Tient, Terres de Sang ? (oui je fais de l’auto promo…)
On se place dans un cadre N / jeu moral. Là, on peut chercher un gameplay linguistique découpé en deux phases:
- une première qui vise à découvrir ce qui est important pour le PJ, en posant des questions méta au joueur par exemple
- une deuxième qui donne une autorité absolue au meneur pour qu’il propose un choix horrible au PJ sur la base de la phase 1
Pour conclure
Une fois qu’on a les outils théoriques, les grilles d’analyse d’un partie de JDR, on peut facilement faire du game design autour et proposer des mécaniques, des règles (de résolution ou d’univers) qui tendent vers un effet escompté.
Que ce soit la théorie LNS, l’atomiste ou le gameplay linguistique, l’important et de se jeter à l’eau et d’échouer vite ou réussir vite, comme je l’ai dit dans l’article précédent :
- Prendre un jeu
- L’analyser grâce à la théorie
- Tirer des éléments qui nous font kiffer
- Crashtester et modifier jusqu’à plus soif
Aller, on se quitte sur cette bonne parole et on se retrouve la prochaine fois pour parler du système et de l’intrication des mécaniques de jeu.
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