Créer son jeu de rôle (1) – Ma méthode

Salut les gens ! Pour bien commencer 2018, voici une série d’articles qui oscillent entre théorie et méthodologie. Pour info, je reprends et revisite mon article qui parlait de méthodologie (et qui nécessite un bon décrassage). Pas besoin de lire ce dernier, on va reprendre du début !

C’est parti.

Ne vous êtes jamais posé les questions suivantes :

Mais diantre, comment créer mon jdr ?

J’ai des idées, un univers, mais comment j’en fais une base de jeu ?

Et bien, nous allons répondre à ces deux questions !

Ce que vous allez trouver dans ces articles

Cette série d’articles part de plusieurs constats:

  • Le coût d’entrée dans les théories rolistes est très élevé. J’ai moi même travaillé les questions théoriques pendant très longtemps avant de m’y retrouver ! J’aurai aimé trouver des ressources pédagogiques à l’époque.
  • Le lien entre théorie et pratique, et plus précisément entre théorie et processus créatif, est difficile à faire. Entre le savoir et le savoir-faire, il y a souvent un gap.
  • J’aurai aimé trouver un journal de bord d’un créateur de jdr en langue française ou toute sorte de documentation du processus créatif. Malheureusement, je suis resté bredouille sur ce sujet (mais j’avoue ne pas avoir cherché à fond non plus).

Bref, j’ai envie de donner mes deux centimes sur la question. J’aimerai dans cette série d’articles:

  • Donner ma méthode création de jeu, ma recette secrète ;
  • Documenter le processus créatif, de l’idée de départ jusqu’à la publication ;
  • Faire le lien entre les articles théoriques que je lis et leur application concrète dans mon cas précis ;
  • Donner des tuyaux, des infos pratiques, sur ce que je fais (monter des playtests, s’y retrouver dans les licences creative commons, trouver des illustrations, faire de la mise en page, maîtriser Lulu.com, etc.).

A qui s’adresse ces articles ?

J’ai conscience que ce genre d’article risque de ne pas intéresser tout le monde. En tout cas, je construis cette série de telle sorte à ce qu’un « débutant » puisse s’engager dans le processus de créer un jeu publiable dans un temps raisonnable. Ainsi, si vous êtes un vétéran du modèle GNS et si vous êtes familier du jargon théorique végano-narrativiste, j’ai bien peur que vous ne trouviez pas votre compte dans ces articles qui seront vulgarisant.

De même, si pour vous, un jdr c’est un univers et un système de règles génériques (l’éternel d20 VS d6), passez votre chemin car nous allons nous prendre un peu la tête sur ce qui peut être considéré comme du « branlage de mouche ».

Bref, je m’adresse à toi (et tu es peut-être pas nombreux) qui veut faire un jdr publiable et qui n’a pas encore mis les pieds dans l’univers fascinant des théories rolistes.

Aller ! On a du pain sur la planche !

Réaliser que tout est important.

Avant de commencer à blablater sur ma recette miracle, j’ai envie de passer un peu de temps, en guise d ‘introduction, à pointer du doigt quelque chose de primordial pour se lancer dans la théorie roliste:

Aucun choix n’est anodin dans l’écriture d’un jdr.

Tout est important. De la fiche de personnage aux « règles » du jeu, de l’univers à la manière de transmettre le jeu. Tout est important dans le sens où l’ensemble des choix qui constituent un livre de jdr conduisent à une certaine manière de jouer à ce jeu.

Juste pour prendre un exemple: considérons la fiche de personnage de Pathfinder:

Outre le fait que c’est compliqué, que décrit-elle ?

  • Les capacité physiques, mentales et sociales d’un personnage de manière intrinsèque (son inné) ;
  • Les choses qu’il a apprises comme les compétences, les sorts, etc. (son acquis) ;
  • Son équipement.

On a à faire à une fiche qui renseigne déjà pas mal sur la philosophie du jeu, sans même lire le livre de règles. En observant la fiche, on peut déjà dire que:

  • Le jeu se focalise sur ce qu’un personnage SAIT faire, pas sur ses émotions ;
  • Le jeu est calculatoire (au moins à la création de personnage) ;
  • Le jeu risque d’être martial (au vue de l’importance accordée aux armes, aux protections et aux sorts (50% de l’espace sur 2 pages).

Et puis, le jeu fait la différence entre l’inné et l’acquis.

Bon, en disant tout cela, on n’a pas dit grand chose sur Pathfinder (qui est tout de même sacrément complexe). Toujours est-il que tous les choix sont importants lorsqu’on crée. Tous les choix, même les plus évidents comme:

  • la présence d’un MJ ;
  • le fait de lancer des dés ;
  • le fait de devoir parler à la première ou à la troisième personne ;
  • le fait de dire qui a l’autorité sur la fiction (le mj, les joueurs ?) ;
  • la mise en page du livre de base ;
  • etc.

OK. C’est dit ! Pour le moment gardez simplement en tête qu’aucun choix n’est anodin…

C’est bien beau tout ça. Réaliser que tout est important. And so what ?

Et bien pas grand chose. Et beaucoup à la fois. C’est un état d’esprit qu’il faut, à mon sens, avoir lorsqu’on crée un jdr. Avant de se lancer dans l’écriture de centaines de page de background ou dans la confection d’un système compliqué avec multiples lancés de dés explosifs, je me pose toujours cette question:

Est-ce que ce que je fais est utile pour ce que je veux ?

(PS: petit article sur la nécessité de se demander « pourquoi cette règle existe ? »)

De la nécessité de savoir où on va

Du coup, pour créer le jdr de nos rêves, et bien il faut définir nos rêves. C’est la première étape de ma recette secrète à créer des jdr à succès (hum hum). Ainsi, avant toute chose, avant l’univers ou les éléments de règles, je commence par me poser la question suivante:

Quelle genre de scène j’ai envie d’avoir dans mon jeu ?

Par exemple dans Terres de Sang, je voulais:

  • avoir des scènes où un PJ se surpasse pour explorer un lieu inconnu. Ce faisant, il révélerait une partie de son passé (par des flashbacks par exemple) aux autres.
  • avoir des scènes où les certitudes du PJ seraient brisées par ce qu’il a vécu sur le Nouveau Continent. Il aurait alors un choix moral à faire: rester le même ou changer. Dans les deux cas, il perdrait quelque chose.

Je rajoute souvent des références à des livres, des films ou des scènes dans des parties de jdr auxquelles j’ai participé. Dans le cas de Terres de Sang, on peut penser à The Fountain, Vendredi ou la vie sauvage, certaines partie d’Inflorenza Minima, etc.

Pour Damnés, que nous sommes en train d’écrire, j’ai en tête des scènes d’anciennes parties de jdr qui m’ont marquées. En particulier, lors d’une campagne de Vampire, il y avait cette scène où Wata (une PJ) qui avait l’emprise mentale sur un humain l’a délibérément laisser partir parce qu’elle se rendait compte qu’elle lui faisait du mal. Un moment émouvant, sincère et profond que j’ai envie de reproduire dans notre prochain jeu (qui se focaliserait vraiment sur l’exploration de la noirceur intime des Damnés). Le passage se trouve ici (c’est écoutable même sans contexte et le passage où Wata libère Daniel donne des frissons):

En bref, c’est le moment de brainstormer sur les trucs cools que vous voulez avoir dans votre jeu.

A cette étape, je me laisse en général très peu de temps afin que mon projet ne soit pas un amas de choses que j’ai envie de faire sans que ne puisse en voir le bout. Idéalement, je devrais pouvoir résumé mon jeu en 2 phrases:

  • Dans mon jeu, on joue ça
  • Et le truc le plus cool dans mon jeu c’est ça.

OK. Ca c’est fait !

Et maintenant ?

Choisir les bons éléments pour respecter le cahier des charges

Bon là ça se complique. On sait ce qu’on veut mais on ne sait pas encore comment le mettre en œuvre. Il y a une tripotée de choses à mettre en place, mais globalement, je les découperai en deux catégories:

  • Les mécaniques dures: ce sont les règles écrites en dur et qui nécessite une action du joueur pour la mettre en oeuvre (exemple: lorsque le PJ est en danger, lance un dé).
  • Les mécaniques molles: ce sont les règles implicites, les conseils de jeu, le feeling dont découlent certains comportement. Quelques exemples:
    • Dans ce monde, il y a de la magie. Ceci impose une manière de penser que le joueur adoptera en incarnant son personnage.
    • Faites une longue pause après avoir raconté quelque chose. Ceci impose un « flow » qui tend vers des parties plus « zen » (je caricature à mort mais vous avez l’idée).

Bon et bien on va s’attaquer à ces aspects !

Avant toute chose, un peu de saine lecture: cet article de Frédéric Sintes qui définit le système. Il y a là déjà pleins de questions qu’on peut se poser: qui dit quoi, quand, comment, qui tranche les conflit, comment, etc. ? (PS: voici un autre article du même gus, pour la détente, sur les niveaux d’un système.)

Dans la suite, je vais utiliser le vocable de Frédéric Sintes.

Le système de jeu

Donc le système, ce n’est pas seulement les règles de résolution d’une action, mais bien l’ensemble de règles qui régissent une partie.

A priori, on pourrait dire que:

  • Puisqu’une mécanique engendre un effet;
  • Il suffit de mettre des mécaniques bout à bout pour obtenir un système, en veillant à couvrir le spectre le plus large possible dans les situations probables de mon jeu.

Oui, mais non. Car comme des engrenages, les mécaniques doivent bien s’imbriquer pour faire ressentir aux joueurs la sensation voulue.

Sauf qu’à priori, on n’a aucune idée de comment ces règles s’imbriquent tant qu’on n’a rien mis sur la table. Je préconise donc, dans un premier temps, de poser une règle par effet désiré, sans se préoccuper de synergies ou d’anti-synergies. On verra ce dernier point dans un second temps. Pour le moment, je colle des mécaniques que je connais à mon cahier des charges (c’est là que la connaissance roliste devient importante).

Premier exemple simple,  j’ai envie que mes joueurs se sentent puissants lorsqu’ils font une action. Je peux utiliser un système à la Vampire la Mascarade: jeter une brouette de 1d10 et compter les réussites. Le fait de jeter une tonne de dés peut donner un sentiment de puissance, du fait du nombre de trucs en plastique qui s’entre-choquent.

Autre exemple plus pointu, ai-je besoin d’un MJ dans mon jeu ? Et oui, le MJ, c’est comme les antibiotiques, c’est pas automatique ! Le fait d’avoir un MJ dans un jeu impliquent un tas de raisons qu’on met souvent sous le tapis, car on est habitué à ce mode de jeu. Bref, on peut légitiment se poser la question:

Est-ce que le fait d’avoir un MJ et des joueurs pertinent dans notre démarche ?

Pour Damnés, ce schéma traditionnel a ses limites car le MJ ne peut pas savoir ce que pense les joueurs (ni les PJ). Pour que le jeu fonctionne, il faudrait que les sentiments des PJ puissent influencer les scènes dans lesquels ils vont apparaître. Si le MJ me propose une situation qui ne m’intéresse pas, je ne risque pas de m’impliquer émotionnellement (et c’est ça que je cherche dans Damnés: l’implication émotionnelle). Mais, je ne souhaite pas non plus que les joueurs définissent leurs propres scènes (j’aime bien l’interprétation d’un PNJ par le MJ et les faces à faces que cela peut engendrer). Moralité: j’opte pour un système avec un MJ mais qui va devoir intégrer des éléments importants de « feedback » du joueur vers le MJ et les autres joueurs. Je ne sais pas encore quoi, mais je sais que ça va être capital.

De cette première question vont en découler des dizaines d’autres. C’est un bon point de départ, à mon avis parce que les choses se déroulent assez facilement ensuite.

Que j’ai choisi un système sans MJ (comme dans Terres de Sang ou T.A.N.G.O.) ou avec un MJ (ou même avec plusieurs MJ et un seul joueur comme dans Héros d’Argile), je me pose dans un premier temps les questions suivantes:

  • Qui décrit quoi ?
  • Qui a le dernier mot sur le décor ? sur les PJ ? sur les figurants ?
  • Les PJ doivent-ils avancer vers une résolution ? Comment font-ils cela ?
  • Qui impose les obstacles ?
  • Qui résout les conflits ? Comment résout-on les conflit ? (Hasard, prix à payer, etc.)
  • En tant que joueur, comment je sais quand prendre la parole et pour dire quoi ?
  • Etc.

De ces questions vont découler un certain nombre de réponses qui vont constituer un socle de départ.

Par exemple dans Damnés, je sais que:

  • Il y a un MJ et des joueurs ;
  • Les joueurs impulsent les scènes (qui, quand et où) et le MJ en a la responsabilité ensuite en interprétant décor et figurant ;
  • Le MJ propose les conflits ;
  • La résolution des conflits n’est pas aléatoire mais va dépendre de l’état émotionnel du PJ (et là ça fait tilt dans ma tête: je vais axer mon gameplay sur l’axe émotion VS action. Je pars ensuite sur une phase de brainstorm.) ;
  • Etc.

Bon, je me suis un peu étendu sur ce dernier point, mais voyez à quel point aucune décision de design n’est anodine !

Bref, prenez le temps de bien savoir où vous allez et commencer à prendre vos premières décisions de design, vos premières briques de mécaniques…

Bon, on va s’arrêter pour aujourd’hui. Vous avez un bonne idée de la direction de votre projet à ce stade. La fois prochaine, je parlerai un peu plus de théorie et de comment s’en inspirer pour créer des solutions techniques.

La suite de l’article se trouve ici !

 

Bonne année 2018

Tient, comme c’est original ! Bonne année, gna gna gna, santé, bla bla bla, bohneur, tout ça ! Bon c’est vrai, c’est cliché. Mais le début d’année est aussi un bon moment pour regarder en arrière et voir ce que 2017 nous a réservé. Et puis de regarder devant aussi (toujours regarder des deux côtés avant de traverser) pour se motiver et se lancer dans 2018.

En 2017:

  • Nous avons sorti Terres de Sang (yeah !). Après de loooongues années de développement (et de doutes aussi), nous avons péniblement accouché de notre bébé rolistique. Mais le chemin en valait la peine !
  • Nous avons participé au Game Chef 2017 avec Héros d’Argile et nous sommes allés en final. Qui l’eut cru ! Deux ans d’affilé ! Nous comptons bien prendre en compte les retours, faire des playtests et sortir une version bien plus aboutie du jeu.
  • Je me suis un peu moins investi sur les Courants Alternatifs (vie familiale oblige).  C’est un réel regret. 2018 ne semble pas s’améliorer. Mais j’y reviendrai, j’ai des trucs à y faire: beaucoup de technique (histoire de pas laisser un site tout dégeu, refonte graphique promis il y a un an, amélioration de la bibliothèque), un peu d’organisationnel (mais les gens se débrouillent très bien et le système décisionnel roule pas trop mal en fait), un peu d’animation  (faut du temps) !
  • Notre blog a fait peau neuve. Nouvelle identité visuelle, petit ménage de printemps. Ca fait du bien et c’est joli à l’oeil.

En 2018:

  • Nous espérons faire le promo et vendre quelques Terres de Sang. Seulement 2 copies vendues en 2017 (un pdf et un livre papier). C’est pas beaucoup ! On en tire les leçons: la promo ça se fait pas tout seul. C’est de la sueur et des kilomètres de voies ferrées – conventions, démonstrations en live ou en virtuel, etc. Et parler de soi, c’est pas facile. Se vendre, ça s’apprend !
  • Même si la refonte de Héros d’Argile n’est pas une priorité, nous y pensons. Surtout depuis que nous nous sommes mis aux comics pour de bon. Si c’est 2018, alors ça sera fin d’année.
  • Bon grosse annonce: nous avons mis à plat nos campagnes de « vampire » et nous allons sortir un jeu intitulé Damnés. Pour le moment, je n’en dis pas plus. Mais ça viendra très bientôt. Allez, je lâche l’intro et la page de couv’. Attendez vous à voir débarquer le jeu d’ici fin d’année !

Portez vous bien en 2018. Puisse-t-elle être l’année des découvertes rolistiques !

Damnés propose de jouer le drame de la vie éternelle. C’est un jeu moral et mélancolique dans lequel vous incarnez un Damné, un être immortel rongé par la Bête évoluant au sein d’une société dysfonctionnelle. Tenter d’assouvir ses Désirs sans faire du mal à ceux qu’on aime, sans réveiller la Bête, prendre parti dans les réseaux d’influence des Damnés et garder un semblant d’humanité, voici les enjeux auxquels vous serez confronté.

Le récit de votre éternité sera ponctué de choix cornéliens, de moments de bravoures, de sacrifices, de tranches de vie et d’instants de grâce. Loin des histoires de héros, vous tenterez simplement de vivre, ou survivre, comme un être ordinaire frappé par l’extraordinaire.

Damnés est un jeu de rôle:

  • Sans dés ;
  • Avec un meneur de jeu ;
  • Nécessitant un minimum de préparation ;
  • Centré sur les personnages, leurs liens, leurs affects et leurs drames ;
  • Qui explore la Bête et l’horreur personnelle qu’elle engendre ;
  • Jouable en campagne ;
  • Largement collaboratif dans la construction de la fiction.

Damnés n’est pas un jeu:

  • D’action héroïque ;
  • Centré autour de manoeuvres politiques. Même s’il en est inspiré, ce n’est ni Undying, ni Vampire la Mascarade ;
  • Dans lequel le meneur règne en seul maître ;
  • Purement esthétique.

 

Par angeldust, il y a

[Terres de Sang] De la Spirale vers soi

Aujourd’hui c’est Théorie ! Voilà un bail que je n’en avais pas parlé sur ce site (2016 ?). On va donc doucement remettre le pied à l’étrier.

Le sujet du jour est ce que j’appelle la Spirale vers soi ou de la Convergence vers soi. C’est un « phénomène » qui est facilité / encadré par les règles de Terres de Sang et c’est pourquoi j’ai à coeur de vous en parler dans cet article.

Objectif

Montrer le phénomène de Spirale vers soi et l’illustrer avec les règles de Terres de Sang. Il ne s’agit pas de décrire une vérité absolue mais de mettre le doigt sur un phénomène que j’ai observé dans mes parties de JDR et plus particulière dans Terres de Sang.

Observation 1

Il existe une porosité entre le joueur et le personnage qu’il incarne.

Cela peut paraître une évidence mais j’ai l’impression qu’il est important de le rappeler: on met forcément de nous dans nos PJ. Même dans le cas le plus extrême où je suis amené à jouer un personnage très loin de mon domaine d’appréhension (genre une race alien au fin fond de l’univers), je vais être obligé, pour jouer ce personnage, de le ramener à quelque chose que je connais. Pas le choix puisque je ne peux pas connaître ce que je ne connais pas (logique hein !). Dans The Watch, par exemple, les joueurs sont inviter à jouer des femmes qui luttent contre une menace appelée « The Shadow » dans un univers médiéval low fantasy. Le truc dans ce jeu, c’est qu’on ne peut jouer que des femmes (ou presque) et qu’il y a un large de choix de genres (non binaire, fluide, cis, etc.). Du coup, lorsque je joue à ce jeu, bien que j’endosse le rôle de quelqu’un qui peut être radicalement différent de moi (une guerrière cis-genre), je ne peux qu’interpréter ce rôle à la lueur de ce que je comprends, de ce que je connais. Je me mets à la place de mon PJ et je ne peux que tenter d’approcher le personnage de part mon expérience propre. Éventuellement, le jeu peut m’aider à le faire, mais indéniablement, je jouerai ma propre interprétation d’un personnage.

On peut mettre sur une ligne deux points: un qui me représente et un qui représente mon PJ. La distance entre les deux points est le reflet la porosité entre moi et lui. Plus la distance est petite, plus mon PJ est proche de moi en tant qu’individu. On va garder ça pour plus tard 😉

Observation 2

Il y a des moments qui font diminuer la distance entre le joueur et le PJ.

Puisque nous jouons nos personnages à la lueur de notre expérience du monde que nous connaissons, les actes du PJ sont un reflet de notre personnalité. Notre implication émotionnelle dans la fiction, notre immersion, peut provoquer une diminution plus ou moins grande de la distance joueur/PJ. Une conséquence de ce rapprochement est le bleed (cf. article de Thomas Munier), ce phénomène qui fait qu’il y a transparence des émotions entre mon PJ et moi. En gros, je ressens la même chose que mon PJ ou mon PJ ressent la même chose que moi à un moment donné.

Ces moments de rapprochement sont souvent des temps forts dans la fiction. Par exemple, lorsque je suis mis sous pression dans la fiction (face à un choix cornélien par exemple), j’ai tendance à me replier sur mes réflexes, mes acquis personnels, sur mon sens de la morale, etc. Au final, c’est ma position en tant que joueur qui influe sur ce que mon personnage fait (cf article de Frédéric Sintes sur le narrativisme).

Si on reprend le graphe précédent et qu’on ajoute une ligne du temps (de partie ou dans la fiction), on peut représenter le rapprochement de moi et de mon PJ. Parfois, les deux points peuvent s’éloigner bien sûr, mais pour une meilleure compréhension, je ne vais montrer que des points qui se rapprochent. On peut relier les points et observer une convergence des deux courbes: c’est ce que j’appelle la Convergence vers soi.

Cette convergence est bien sûr continue au fil de la partie, ou de la campagne. Plus on joue longtemps, plus on « comprends » notre PJ, plus j’ai d’empathie pour lui, plus nous nous rapprochons.

Construire un système de convergence

Dans Terres de Sang, les règles encadrent ce phénomène de convergence et le transforme en une forme de Spirale vers soi.

1. Les Augures

Les Augures sont des signes du ciel laissés à l’interprétation des joueurs: au moment de la création des personnages, chaque joueur tire deux Augures pour son PJ. Il décrit ensuite en quoi ces Augures ont influencé la vie de son personnage.

Ainsi, avant même que le jeu ne commence, le joueur investie sa vision du monde dans son personnage.

2. Le cycle de narration

La narration dans Terres de Sang est cyclique. Les personnages, après avoir fait Naufrage, passent par des phases d’Exploration, d’Introspection, de Conflit et de Reconstruction. Lors de la phase de Conflit, le personnage se retrouve face à une épreuve morale. Les règles permettent de construite une phase de Conflit avec un impact maximum, à l’aide notamment des phases d’Exploration et d’Introspection qui investiguent la psychologie du PJ (et permettent donc de trouver un choix moral qui fait mal). Ainsi, le Conflit agit comme un temps fort de la fiction durant lequel le joueur doit se positionner moralement.

3. L’Ancrage et la phase de Reconstruction

Une des étapes de la création de personnage est le renseignement de l’Ancrage. L’Ancrage est un adage qui illustre la vision du monde du PJ et se termine toujours par « Ainsi va le monde« .  Par exemple, une phrase comme « Les forts doivent régner sur les faibles, ainsi va le monde » peut être l’Ancrage d’un personnage. Cette phrase définit la vision du monde du PJ.

Durant la phase de Conflit, cette vision est souvent mise à mal et le joueur s’est positionné moralement face à l’épreuve qui lui est soumise.

Durant la phase de Reconstruction (qui se déroule après la phase de Conflit), le joueur est invité à rayer son Ancrage et à en écrire un nouveau. Ceci acte sur le papier le positionnement moral que le joueur a adopté, transposé sur la vision du monde du PJ. Ainsi, la distance entre le joueur et le PJ diminue, sans possibilité de retour.

L’enchaînement des cycles de narration et du changement des Ancrages tend à rapprocher le joueur du PJ, comme si le PJ se trouvait dans une Spirale le menant à fusionner (si on est extrême) avec le joueur.

Le mot de la fin

Dans cet article, j’ai tenté de montrer le phénomène de Convergence vers soi, qui dans Terres de Sang peut aussi s’exprimer comme une Spirale vers soi. Est-ce que vous aussi vous observez ce genre de phénomène dans vos parties (quelque soit le jeu) ?

N’hésitez pas à venir discuter de ce phénomène sur les Courants Alternatifs. Merci à Valentin pour la mise en concept.


Un peu d’autopromo

Terres de Sang est disponible sur lulu.com pour 12€ ou en pdf à prix libre (7€ proposé).


 

[Terres de Sang] Compte rendu de partie – Le mystère des automates

Voici un compte rendu d’une partie de Terres de Sang par Arjuna sur les Courants Alternatifs. Cliquez ici !

La partie qui a été jouée est un peu particulière car Arjuna n’a eu en main que les aides de jeu. Il ne connaissait pas le jeu et je ne lui ai jamais fait joué non plus.

La conclusion est un peu mitigée, ce qui rend le compte rendu particulièrement intéressant et montre l’importance de la transmission d’un jeu !


 

[Hammer of Fate] Fin du « Puits aux Souhaits » + Tome 3 / Chapitre 3: La cité du Loup Blanc (1)

Suite aux CR du jeu de Mister T. (pas le gars avec la crête) qui se trouvent ici et ici, j’ai décidé de m’emparer de son travail et de l’adapter à notre campagne Hammer of Fate !

Pour rappel:
– Les PJ en ont vu des vertes et des pas mûres durant leur voyage. Ils arrivent enfin à destination. Les PJ sont:
— Solvein qui vient rejoindre son mari commerçant de parfum. Elle vient de perdre sa fille et en souffre beaucoup.
— Charlotte qui est envoyée par son père pour se marier à un noble de la cours du seigneur de Middenheim (localement appelé le Graf de Middenheim)
— Villequin qui est le majordome de Charlotte
— Elena qui est une mercenaire embauchée pour assurer la sécurité de Charlotte

Il y a déjà une dynamique de groupe qui est la suivante:
– Charlotte et Villequin sont proches (autant que leur statut le permet):
— Charlotte fait confiance à Villequin
— Villequin donnerait sa vie pour Charlotte
– Elena et Villequin sont amis:
— Elena compte sur Villequin pour protéger Charlotte là où elle ne peut pas aller (genre à la cour)
— Villequin compte sur la force brute d’Elena dans les situations dangereuses
– Charlotte et Solvein sont proches:
— Solvein voit en Charlotte une seconde fille
— Charlotte voit Solvein une noble qu’elle pourrait devenir si elle respectait les souhaits de son père, c’est à dire une femme au foyer modèle

Du coup, les Promesses entre PJ sont déjà presque fixées.

Ensuite, j’ai suivi le protocole de Valentin pour produire une préparation (un canevas). Les PNJ ont tous un objectif et divers liens qui les unis aux autres. Il y a des couples Bourreaux / Victimes, des gens qui font des mauvaises choses pour de bonnes raisons et des mauvaises choses pour de bonnes raisons. Pour info, ça m’a pris 1 heure pour faire le canevas et je pense pouvoir tenir 2/3 séances avec.

Pour info, la préparation se trouve ici. Joueurs, éloignez vous de ce lien !

J’ai ensuite laissé les PJ dans le canevas. Ils font ce qu’ils veulent. J’ai demandé à chaque joueur de trouver 1 promesse et 1 serment envers un ou plusieurs PNJ. Je lâche donc les PJ dans la cour du Graf. Ils déambulent et je ne fais que jouer les PNJ.

Dans la fiction:
– Villequin monte une école de domestique / réseau d’espion
– Solvein s’engouffre dans la nécromancie pour faire revenir sa fille
– Charlotte tente de vivre avec son nouveau mari
– Elena travaille pour la milice de la ville

A chaque fois, les PJ ont l’occasion de discuter avec des PNJ. On continue comme cela jusqu’à ce que tous les PJ aient 1 promesse et 1 serment. A la fin de la séance qu’on a joué, aucune promesse ni aucun serment n’ont été faits: cela veut simplement dire que les PJ veulent disposer de plus de temps pour explorer / rencontrer chaque PNJ. Et ça c’est cool !

La feuille de perso réalisée pour l’occasion se trouve ici.

Pour conclure:
– on a utilisé les bases du travail de Valentin et je l’ai transposé à notre campagne. Je me rends compte que son jeu est jouable en OS et en campagne sans soucis
– l’avantage de la méthode de Valentin c’est que cela donne un protocole pour faire un canevas très rapidement et très rentable en terme de temps de jeu
– un autre avantage est que le MJ n’a qu’à se soucier de jouer les PNJ à fond, et c’est tout !
– les PJ vont naturellement vers les PNJ, ce qui donne de très belles scènes de vie. Il ne s’y passe rien de très particulier mais on explore les caractères des personnages, leur personnalité, leur psyché.. C’est exactement comme cela que nous aimons jouer (auto-promo: Terres de Sang, c’est le bien et c’est en court de publication…).
– J’ai kiffé !

Vous pouvez suivre les échanges autour de cette préparation sur le forum des Courants Alternatifs !

A bientôt !


 

Par angeldust, il y a