Les JDR à secrets sont un genre que nous avons assez peu exploré sous notre label. Pourtant, on y a trouvé récemment beaucoup de plaisir et j’ai essayé de proposer dans cet article quelques axes que je pense intéressants pour en profiter pleinement.
L’univers comme énigme
Tout d’abord, il est important de poser une définition de ce que j’entends par « Jeux à secrets ». Cela permettra probablement d’évacuer quelques évidences.
Un « jeu à secrets » n’est pas, à mon sens, simplement un jeu avec des secrets dedans. Par exemple, une campagne comme « Les Masques de Nyarlathotep » ne fait pas de l’Appel de Chtulhu un « jeu à secret ». L’enquête qui aboutit à la révélation de secrets n’est pas constitutif du genre (sinon, 99% des JDR traditionnels seraient des jeux à secrets, ce qui n’est pas mon propos).
Non, au lieu de cela, j’appelle « Jeux à secrets », les JDR dont le plaisir de jeu est de découvrir le fonctionnement de l’univers au fur et à mesure qu’on joue, d’arpenter un monde volontairement opaque pour finir par en comprendre les rouages en même temps que son personnage. On fait, je dis « Jeux à secrets » par abus de langage et je devrais probablement rajouter un terme : je parle bien dans cet article de « Jeux à secrets ontologiques« .
Ces jeux à ontologie cachée proposent un univers qui dispose d’un sens profond, mais pas immédiatement visible. Dans ces jeux, le monde n’est pas un simple décor. Ce qu’on voit, ce qu’on entend, ce qu’on vit en partie, renvoie vers autre chose que les joueurs tout autant que les PJ vont devoir comprendre. Ce sont des jeux où les éléments de l’univers ne sont pas donnés comme allant de soi.
On joue dans des lieux où l’on sent qu’on ne sait pas tout, qu’on ne sait peut-être même rien. Où la Lumière, les rêves ou les divinités ont une valeur qu’on ne comprend pas encore. Il y a en fait une sensation de réalité suspendue dans ces jeux et c’est une composante du plaisir qui en résulte.
Souvent, j’approche ces jeux en me disant en tant que joueur :
« Quelque chose me dépasse. Et il va falloir jouer pour réussir à l’appréhender. »

Tout est sujet à interprétation
Ainsi, dans les « Jeux à secrets ontologiques », on mobilise notre sens de l’interprétation, non pour résoudre un mystère quelconque, mais pour comprendre le monde qui nous entoure. De fait, tout devient sujet à interprétation, même les plus petits détails. On se pose vraiment des questions sur l’univers dans lequel on évolue et on ne le considère jamais pour acquis. Il y a un effort conscient (et oh combien gratifiant) à chercher des réponses.
Pour cela, il faut être dans une posture attentive, proactive, et surtout de questionnement, car le but est d’établir du sens. Ce sont des jeux qui récompensent l’attention, l’imagination, la capacité à relier les points, ou à les disjoindre volontairement pour faire émerger une autre lecture. Et puisque tout a potentiellement du sens, l’on est dans une réelle dynamique de découverte : on creuse dans les textes, les gestes des PNJ, la structure même des règles. On soupçonne tout d’avoir une intention cachée. Parfois c’est vrai. Parfois non. Mais ce doute est précieux car il crée un rapport actif au monde fictionnel. En fait, ce que j’aime c’est qu’on sort d’une vision purement consumériste de l’univers : ici, le monde n’est pas acquis, il faut faire des efforts conscients pour en profiter pleinement.

Jouer à l’herméneute
Ce type de jeu crée une posture particulière chez les joueurs : on devient herméneutes, lecteurs attentifs d’un monde rempli de signes. Et cela transforme profondément l’expérience, parce que tout à coup, ce qu’on remarque devient un moteur du jeu. Il y a une sorte de boucle de rétroaction entre le monde et nous. Plus on fouille, plus le monde nous donne en retour, souvent avec encore plus de questions.
Finalement, cette posture est similaire à celle d’un chercheur (ou d’un alchimiste) dont la conviction profonde de pouvoir comprendre le monde devient une obsession. Cette conviction qu’il y a quelque chose à fouiller, à découvrir, fait partie intégrante du contrat de lecture (ou de partie) que l’on passe avec le jeu, et le MJ. Ainsi, le MJ devient moins un opposant qu’un gardien de la densité des secrets, qui donne couche par couche les différents niveaux de lecture du monde.
C’est cette posture du MJ que je n’ai pas comprise lors de ma première expérience du « Jeu à secrets » qu’est Sens Hexalogie. Dans ce jeu de Romaric Briand, les PJ évoluent dans un univers qui a été entièrement calculé par un super ordinateur. Sauf que les PJ sont des bugs, des paramètres qui n’ont pas été pris en compte dans la simulation et de fait ont un libre arbitre. Travaillant moi même dans le domaine de la simulation numérique, je me suis pris de passion pour ce jeu et son lore, mais les parties que j’ai pu faire étaient décevantes. Je n’ai compris qu’après quel était le véritable sel de ce genre de jeu. Je ne vais pas faire ici une critique complète de Sens, mais simplement indiquer que les « jeux à secrets » nécessitent, je crois, un positionnement particulier en tant que MJ et en tant que joueur. Une discussion croisée en Ambre, l’autrice de Arcana, et Romaric est bientôt prévue donc je mettrai à jour cet article bientôt.

Créer du sens, c’est créer du lien
Enfin, un aspect important des « Jeux à secrets », à mes yeux, c’est tout particulièrement la complicité du groupe. En effet, cette émulation collective, cette recherche de compréhension se fait en général en groupe et « en personnage ». La convergence entre joueur et personnage est souvent très forte puisque ce que comprend le joueur est compris au même niveau et au même moment par le personnage. Ainsi, le groupe de personnages réfléchit en même temps que les joueurs. Les moments d’épiphanie sont donc souvent collectifs, ce qui renforce les Liens au sein du groupe. On a une réelle complicité entre personnages mais surtout entre joueurs. Il y a une connexion réelle qui se crée entre nous.
Bref…
Jouer à ce type de JDR, c’est :
- accepter de ne pas comprendre tout de suite,
- se réjouir de relier les fragments,
- agir dans un monde qu’il ne faut pas considérer comme acquis,
- vivre des épiphanies collectives.
J’espère que vous voyez un peu mieux le genre de jeu que pourrait être Arcana. Comme je l’ai exprimé en début d’article, j’ai finalement peu d’expériences des « Jeux à secrets ontologiques ». Je lorgne depuis un moment sur Trip to Skye de Romaric Briand mais je n’ai pas encore sauté le pas. A part Arcana, en fait, je n’ai que très rarement eu l’occasion de jouer à des « Jeux à secrets », qui demandent souvent un investissement en campagne. Et pourtant, j’ai pu voir lors de mes parties d’Arcana tout le plaisir qu’on pouvait y trouver et j’espère que vous en ferez l’expérience comme moi.
Et vous ? Quel jeu à secrets vous a le plus plu ?