Je profite de ce tout premier article théorique de 2019 pour vous souhaiter à nouveau une excellente année à venir (nous sommes en février, oui je sais, nous sommes à la bourre !). Puisse-t-elle être remplie de belles découvertes et de projets fructueux.
Quant à moi, je vous propose une petite visite guidée d’une des mécaniques de Damnés (notre dernier jeu dans lequel vous incarnez des être éternels rongés par la Bête): je vous présente donc un article sur les Signes.
Les Signes sont des Gestes Rôlistes que les joueurs peuvent faire durant la partie pour signifier certaines choses aux autres participants sans avoir à prendre la parole. C’est une mécanique inspirée de (d’aucun diront honteusement pompée sur) une réflexion de Felondra sur le bouillon de culture et de game design qu’est le forum des Courants Alternatifs. En partant d’usages issus du théâtre d’improvisation, Felondra propose de ritualiser des gestes qu’on pourrait utiliser lors de nos parties de JDR. Je vous invite à parcourir son billet immédiatement: il est rempli de belles choses 🙂
Nota Bene: J’utilise ici le terme Geste Rôliste pour parler sans distinction de Gestes, de Signes Gestuels, et tout autre jargon du milieu des théoriciens: bref, faisons dans le pratique.
De l’importance de la communication, verbale et non verbale.
Il va sans dire que le JDR est un médium qui se base en premier lieu sur la communication entre les participants. Lorsque je parle de communication, je ne me limite pas à la communication parlée (souvent vecteur premier) ou écrite, mais j’entends bien tous les types de signaux que nous pouvons envoyer à notre prochain (volontairement ou non). Les gestuelles, les intonations, la posture corporelle, les regards, les respirations, etc. A titre personnel, mes meilleurs moments de JDR sont ceux pendant lesquels je m’entends avec un autre joueur sans même me mettre d’accord avec lui en amont, lorsque nous sommes sur la même longueur d’onde d’un simple regard.
Malheureusement, ce genre de moment ne semble pas sortir de nul part, tel un miracle inopiné, mais il n’est pas non plus contrôlable ou prévisible. J’ai plus l’impression qu’il faut mettre en place un terreau fertile pour que cette symbiose puisse se produire. (Il y aurait tellement de chose à dire sur ce sujet, mais cela déborde du cadre de cet article. Peut être qu’on y reviendra un de ces quatre.)
Et c’est là que les Signes interviennent.
Mettre en place des routines
L’idée des Signes dans Damnés n’est pas de reprendre purement et simplement quelques gestes de l’article de Felondra et de les balancer dans le mix sans autre forme de procès. Au lieu de cela, nous avons tenté de mettre en place des routines qui, selon nous, facilitent l’émergence de moments symbiotiques. Bien sûr, les Signes ne sont pas forcément nécessaires et ne sont certainement pas suffisants pour qu’à coup sûr une épiphanie se produise dans une partie, 100% du temps. Il faut plutôt voir les Signes comme des outils, des petits gestes qui une fois intériorisés favorisent les échanges entre les participants.
Dans Damnés, il n’y a pas de tour de parole mais en général, on cadre une scène autour d’un Protagoniste: c’est lui qui est mis en valeur durant cette dite scène. Cela ne veut pas dire que les autres joueurs ne peuvent pas intervenir, au contraire. Seulement, lorsqu’il est difficile de prendre la parole, un bon Signe bien placé permet de faire passer le bon message au bon moment, sans avoir à interrompre le flot de la narration.
Le choix des gestes que nous avons incorporé dans Damnés n’est pas anodin. On peut globalement les classer en trois catégories:
Les facilitateurs
Il s’agit des Signes qui permettent de donner ou demander la parole, ceux qui permettent de fluidifier la partie sans avoir à interrompre les autres. Leur fonction est évidente, je ne vais pas m’attarder dessus.
Exemple: “Entrer en Scène”
Les catalyseurs
Ce sont les Signes qui mettent en avant un ressenti personnel. L’idée ici est de pouvoir s’exprimer sans crainte d’interrompre le flot de la narration. Ces Signes servent à insuffler vos envies avec un minimum de subtilité. Un Signe comme “Jouer la prochaine Scène” ou “Intervenir dans la narration” ont plusieurs avantages sur la prise de parole directe:
- Il incite les autres à prendre en compte le message. Globalement, nous avons trouvé lors des playtests que la mise en place de ce Signe particulier favorise l’écoute (ou du moins l’attention sinon l’empathie) de tous les participants. Si un joueur fait ce Signe et dit ce qu’il dit, ce n’est pas gratuit: la ritualisation permet donc de donner la valeur à ce qui est dit. Par ailleurs, ces Signes favorisent la mise en place d’un jeu en communication non verbal: un Signe “J’aime” suivi plus tard d’un clin d’oeil ou d’un regard appuyé pourra en dire beaucoup justement parce que le Signe a été utilisé au préalable.
- Il permet aux joueurs « timides » de s’exprimer. Alors, attention grosse digression: je mets des guillemets autours de « timide » car c’est souvent comme cela qu’on appelle les joueurs plus en retrait qui parlent très peu. De mon expérience, la « timidité » n’est peut être pas le meilleur qualificatif qu’on ait pu trouvé, mais bon passons. Par contre, quelque chose que voit et que j’entends souvent, c’est qu’il « faut aller chercher les joueurs timides » pour leur donner la parole, les forcer à intervenir. Ce n’est pas vraiment comme cela que nous voyons les choses et des Signes qui permettent de faire valoir un point de vue, un ressenti, de mettre un peu de soi dans la partie sans avoir à prendre la parole nous a paru une bonne idée pour Damnés. Nous avons eu plus d’une fois à notre table des joueurs dit « timides » et je pense que nous aurions aimé à l’époque être équipé de ce genre d’outil. Attention toutefois à ne pas confondre joueur et personnage: Damnés étant un jeu centré autour du drame des protagonistes, un personnage reclus qui interagit peu avec le reste du monde risque fortement d’ennuyer son joueur.
- Ces Signes ne « polluent » pas la partie avec des messages hors jeu. Les Signes comme « J’aime » permettent de faire un message positif sans arrêter la fiction.
Les voyants d’alerte
Les Signes comme la “Carte X” ou le “Moins Intense” sont des outils de sécurité émotionnelle indispensables pour un jeu comme Damnés. L’état actuel de la réflexion sur les outils de sécurité émotionnelle semble encore en évolution (notamment le billet de Ben Lehman sur la Carte X) mais nous pensons qu’il est primordial de mettre en place dans nos jeux ce genre de d’outil, ne serait-ce que pour provoquer la discussion.
Bien sûr, certains Signes font partis des trois catégories à la fois: il est souvent abscons de tout vouloir mettre dans ces cases.
Quelques trucs en plus
A noter également que le Meneur a un rôle très important également dans cette mécanique car c’est lui qui anime et qui distribue la parole. En effet, nous rappelons que dans Damnés, le Meneur réellement un chef d’orchestre et non un maître du jeu au sens traditionnel du terme. C’est donc à lui que revient la tâche de gérer les flux de parole et de mettre en place, grâce aux outils du jeu, le terreau fertile à la symbiose entre les joueurs dont je vous parlais plus haut.
Enfin, ces Signes sont d’autant plus important à mettre en place dans le cadre de parties en ligne durant lesquelles une grosse partie de la communication non verbale est perdue. D’ailleurs, les conventions de communications habituelles sont souvent bousculées lors de parties en ligne: un blanc dans la conversation peut tout aussi bien signifier qu’on attend que tous les interlocuteurs soient en phase ou approuvent ou qu’il y a eu une déconnexion impromptue; couper la parole est encore plus difficile que sur table, l’approbation des participants et soit difficile à avoir, soit directement tacite, etc.
Voilà pour ce premier article théorique de 2019. J’espère qu’il vous aura éclairé sur nos choix de design dans Damnés et je vous dis à très bientôt ! Merci encore à Felondra pour son article sur les Gestes Rôlistes et l’inspiration que cela nous a procuré !