Il y a des discussions de comptoirs qui font et refont le monde sans véritablement impacter votre vie. Et il y a celles qui vous mettent un coup de pied dans le cul et qui vous font cogiter une bon mois. Le 19 mars à 10h, j’ai assisté à une de ces discussions. C’était une rencontre des Ateliers Imaginaires organisée par Valentin T. au Dernier Bar Avant la Fin du Monde – Paris.

Les Ateliers Imaginaires, c’est quoi ?

Les Ateliers Imaginaires, c’est une communauté d’auteurs de JDR indépendants. Elle passe par un forum mais aussi par des rencontres IRL, une à laquelle j’ai assisté donc.

Vous avez causé de quoi ?

En quoi consistent ces rencontres ? Et bien, c’est simple: DISCUTER pardi ! Discuter de tout, mais surtout de JDR, de théories et de méthodes, de manière organisée et le plus constructif possible. Dans ce cadre, nous avons donc passé deux bonnes heures à parler de  » Méthodologie de création de JDR « . La discussion a été enregistrée et un compte rendu a été rédigé (vous avez vu combien c’est sérieux !). Les liens vers ces documents arrivent bientôt.

Et donc ?

Et donc j’ai pris du recul sur cette rencontre, j’en ai digéré le contenu et je me suis mis au boulot. Je me suis installé devant la « machine à écrire » et j’ai écrit un jeu en m’appuyant le plus possible sur les conclusions que je tire de cette discussion. Ce jeu, c’est Vampyre: Ein weiterer Lied. J’avais l’idée en tête depuis un moment. Avant la rencontre, j’ai essayé d’utiliser le moteur FATE pour confectionner ce jeu. Je suis arrivé à une impasse. Puis, quelques jours après la rencontre, je me suis remis à la tache, et, quelle fierté, j’ai réussi à produire un document « montrable ». OK, ce n’est pas le jeu du siècle, et il demande à être testé en profondeur. MAIS, ce jeu a au moins le mérite non seulement d’exister, mais aussi d’avoir mis à plat une méthodologie qui fonctionne pour moi. En effet, tout au long du processus, j’ai noté dans un coin les différentes étapes qui m’ont conduit au résultat que vous pouvez télécharger librement sur le site.

Alors, c’est quoi ta recette secrète ?

Tout d’abord, laissez-moi rapidement synthétiser les propos qui ont été tenus ce matin là. Sachez simplement qu’il s’agit de ce que j’ai retenu, et que j’ai pu déformer/omettre quelques éléments. Je m’en excuse par avance.

Dans un premier temps, rappelons qu’il n’y a pas UNE méthode, mais DES méthodes. Chacun trouve son compte, en attaquant le problème sous divers angles: le système, une sensation, une oeuvre de fiction… Certains partent d’une intuition, d’autres notent méticuleusement leurs idées pour les compiler plus tard.

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Pour ma part, je pars toujours d’un Cahier des Charges (déformation professionnelle ?). Lorsque je rédige ce Cahier des Charges, je m’assure de ne pas succomber à deux tentations:

  • Etre trop vague, c’est-à-dire ne pas savoir phraser ce que je veux. Il en résulte un flou dans lequel on peut très rapidement se perdre, s’éparpiller. Il est tellement tentant de commencer par une encyclopédie de l’univers qu’on propose, et au final, cela n’aboutit à rien (en tout cas, pas à un jeu !)
  • Cadrer trop l’expérience de jeu, c’est-à-dire ne pas laisser la place à l’émergence qui constitue le coeur de notre hobby. Il ne faut pas céder à la tentation de dire « comment » jouer tel ou tel élément de jeu, fabriquant ainsi un jeu qui peut se passer des joueurs. C’est une frustration de MJ dont je dois me défaire absolument !

Pour Vampyre: Ein weiterer Lied, mon Cahier des Charges ressemble à cela, par ordre de priorité:

  1. Le jeu doit avoir pour thème central l’exploration de la Bête, le côté inhumain du vampire;
  2. Le jeu doit pouvoir créer des éléments de fictions à partir des personnages;
  3. Le jeu doit porter dans son système l’expression de relation entre les personnages;
  4. Le jeu doit avoir pour contexte le Vampire du Monde des Ténèbres.

Pour chaque point de mon Cahier des Charges, j’associe une Mécanique de jeu. Les outils que j’utilise pour cela proviennent directement de la discussion avec les membres des Ateliers Imaginaires:

  • Lire beaucoup et de tout;
  • Faire le tri dans les informations lues;
  • Utiliser des « Briques Élémentaires.

Lire beaucoup et de tout

Jouer et lire, histoire de s’inspirer. Voilà mon point faible, je pense, essentiellement par manque de temps. Pour Vampyre: Ein weiterer Lied, je me suis beaucoup inspiré :

Faire le tri des informations lues

Voici la partie où il faut un peu de méthodologie. Faire le tri, ce n’est jamais simple. En jeter trop et on en perd l’essence. Trop en garder et on s’encombre pour rien. Pour ma part, ma femme a un petit carnet où elle note tout ce qu’elle lit. C’est assez amusant de la voir lire d’ailleurs: on la voit alterner entre prise de note et lecture assidue, les sourcils froncés. Du coup, je recoupe ce que j’ai retenu de ma lecture avec ce qu’elle a noté: je considère que l’intersection de nos deux lectures permet d’en tirer l’essentiel.

Utiliser des « Briques Élémentaires »

Pour moi, les « Briques Élémentaires », ce sont ces petits bouts de système de jeu qui sont nécessaires mais pas suffisants pour retranscrire une expérience de jeu. Par exemple, « lancer une brouette de d6 et compter le nombre de succès » est une « Brique Élémentaire ». Cette brique peut permettre de se sentir « compétent », voire « puissant », du fait de lancer un grand nombre de dés. Cette brique est nécessaire mais pas suffisante pour retranscrire cette sensation: cela dépend du contexte, de la probabilité de réussir un test etc.

Ainsi, pour chaque point du Cahier des Charges, je construis un bout de système de jeu, que je teste tout seul dans mon coin. En science, cela peut s’apparenter aux expériences à effets séparés. Je teste indépendamment mes petits bouts de système. Certains marchent bien, d’autres pas vraiment. En général, si lors de mes essais je n’arrive pas à mettre la mécanique à plat, je la jette. Valentin appelle cela le Darwinisme ludique. J’aime bien cette appellation ! Je la garde !

Pour Vampyre: Ein weiterer Lied, par exemple, je me suis demandé ce que voulait dire « Explorer la Bête« . Dans le jeu, on considère que la Bête, cette inhumanité au fond de l’âme du vampire, s’exprime par les Emotions de son hôte. Plus un vampire est proche de sa Bête, plus il tend vers l’Anesthésie ou l’Intempérance d’une Emotion, c’est-à-dire vers l’annulation ou l’excès d’une Emotion. Ainsi, lorsque la Bête s’exprime, le vampire est incapable d’exprimer une Emotion ou s’adonne à l’expression à la plus poussée de celle-ci. Par exemple, un vampire qui s’éloigne de son humanité est soit incapable de ressentir la Colère, soit au contraire entre dans une furie constante, le rendant incapable de vivre en société.

Ce que je voulais dans Vampyre: Ein weiterer Lied, c’était que le joueur puisse se sentir plus ou moins proche de la Bête en intégrant une aide pour jouer le degré des Emotions. Une des « Briques Élémentaires » pour atteindre cet effet est le système de « pool de dés« . Plus il y a de dés associés à l’expression d’une Emotion, plus le vampire se rapproche de sa Bête. A contrario, moins il y a de dés, plus il est « humain ». Dans certaines conditions fixées, par exemple lorsque le vampire utilise ses Disciplines ou son Sang (c’est-à-dire ses pouvoirs surnaturels), on ajoute des dés au pool. De même, lorsque le personnage est face à une situation émotionnellement intense, on utilise l’aléatoire des dés pour savoir si on ajoute des dés au pool ou non.

Par ailleurs, le personnage peut « Décharger » une émotion, c’est-à-dire retirer des dés de son pool. Décharger une émotion, c’est relâcher la tension: aller s’expliquer avec quelqu’un, se confesser, taper dans un punching-ball, s’isoler ou méditer, voici autant de moyens de Décharger une Emotion. L’aléatoire des dés est utilisé pour savoir si le personnage réussit ou non à Décharger son Emotion. Cette mécanique permet en partie de répondre aux points 2 et 3 de mon Cahier des Charges (Le jeu doit pouvoir créer des éléments de fictions à partir des personnages et le jeu doit porter dans son système l’expression de relation entre les personnages).

 

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Un fois que j’ai traité tous les points de mon Cahier des Charges, j’assemble les briques élémentaires pour en faire mon jeu. Je teste alors le tout. On peut associer cela à une expérience à effets intégraux. Je change une ou plusieurs parties de mon assemblage lorsque c’est nécessaire, et je reteste ensuite. C’est un processus itératif qui peut être long, dépendant de son niveau d’exigence.

A la fin, je me retrouve avec un document d’une trentaine de pages avec la mise en forme pour Vampyre: Ein weiterer Lied. Je passe alors un dernier test: le questionnaire de Frédéric Sintes. C’est mon boss final, mon ultime test pour savoir si mon produit est montrable. Je fais l’exercice de répondre à toutes les questions de Frédéric. Si j’y arrive sans triturer dans tous les sens mon jeu, alors j’estime qu’il est montrable pour relecture.

Voilà c’est tout.

Cette méthode est celle que j’utilise. Je ne la considère pas comme universelle mais au moins, elle fonctionne pour moi. La preuve, j’ai écrit Vampyre: Ein weiterer Lied en à peu près un mois et sur mon temps libre uniquement. Des discussions avec les membres des Ateliers Imaginaires, j’ai réussi à extraire ce qui fonctionne à titre personnel et je l’ai appliqué à ce jeu. Mine de rien, cette méthode a le mérite d’avoir produit un document lisible et montrable.

Et ensuite ?

Comme je l’ai dit, écrire un jeu est un processus itératif. Vampyre: Ein weiterer Lied est loin d’être terminé puisqu’il faut le tester, encore et encore. Le relire, beaucoup le relire. Et surtout le compléter car il est très imparfait. C’est le premier jet, une base de travail. A ce titre, je lance une campagne de ce jeu d’ici la fin du mois de mai pour le tester intensivement.

Je vous invite, si vous le voulez bien, à me faire des retours sur le document et à le tester par vous même.

Je compte aussi appliquer cette méthode à Terres de Sang, qui est un de mes autres projets (mon projet principal à vrai dire). Or c’est un projet qui s’enlise, essentiellement par faute de méthodologie. Maintenant que j’en tiens une, je compte bien l’appliquer rétroactivement à tous mes autres ébauches de jeu !

Et vous, quelle méthode utilisez-vous ?

 


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