[Terres de Sang est Millevaux] CR – Communier avec la forêt

Compte rendu de Terres de Sang est Millevaux

Supplément pour Terres de Sang dans lequel on explore l’enfer forestier de Millevaux (univers créé par Thomas Munier).

Variante « Jeu rapide » où les Cartes Ancrages sont tirées comme des Augures et où l’Ancrage est déterminé comme dans le jeu original.

Partie jouée le 24 mars 2018 à la convention Au delà de Dragon à Montpellier.

Personnages

  • Mara – biologiste mystique
  • La Boule – ingénieur curieux
  • Doc – jeune médecin
  • Le Père – très vieux pasteur

Inspiration

Le jeu propose aux joueurs de créer le point de départ des explorateurs. Nous sommes partis sur une ambiance à la Annihilation (le dernier blockbuster de Netflix): le setting se veut futuriste et mystique.

L’histoire

Le monde civilisé a ignoré Millevaux depuis trop longtemps. Souvent des signes de l’existence de la forêt sont retrouvés en plein coeur des cités sans que personne ne puisse en expliquer la raison. Récemment, une boite en noyer qui murmure des psaumes étranges a été retrouvé en ville. Une expédition est donc montée pour découvrir ce que cache la forêt secrète de Millevaux.

Sont du voyage Mara, une biologiste ayant des connaissances chamaniques, la Boule, le pilote et ingénieur, Doc, la médecin, et le Père, le pasteur. A l’approche de Millevaux, le vaisseau percute un objet non identifié et s’écrase en plein coeur de la forêt, en son point le plus central. Le choc est sévère mais les quatre voyageurs s’en tirent indemnes. L’équipement est rapidement sorti des décombres et l’exploration peut alors commencer.

Un chêne millénaire, gigantesque et majestueux trône au coeur de la forêt. Lorsqu’on s’approche de lui, on peut entendre le battement d’un coeur humain. Ses pulsations résonnent en écho parmi les arbres. Les explorateurs tentent de comprendre le phénomène, de rentrer en communication avec le chêne. Le Père prie. Mara fait une danse rituelle. Doc sort des seringues pour faire un prélèvement. Boule, quant à lui, est sceptique: il ne peut pas expliquer le phénomène, ce qui le perturbe.

Malgré les réticences du Père, Doc fait un prélèvement de la sève. L’aiguille s’enfonce dans l’écorce comme dans la chair. L’arbre pousse un cri de douleur. Boule fait un pas en arrière, terrifié. Il vient de reconnaître la voix de sa soeur défunte. Complètement bouleversé, Boule s’adosse à un arbre et tente d’encaisser le coup. Sa soeur est morte dans un accident de voiture, très jeune. Elle a été emmenée dans le bloc chirurgicale de Doc mais celle-ci n’a pas pu la sauver, malgré tous les efforts humainement possibles. L’autopsie a montré que le sang de sa soeur contenait des résidus minéraux et végétaux, à la surprise de tous. C’est la raison pour laquelle Boule et Doc se sont embarqués dans cette aventure, l’un pour tenter de comprendre ce qui est arrivé à sa soeur, l’autre tel un acte de rédemption. D’ailleurs, Boule cultive depuis lors un goût aiguisé pour la science: tout comprendre est devenu pour lui une raison de vivre.

Le cri a déchiré l’air. Le Père s’effondre au sol, inconscient. Mara entre en transe et danse frénétiquement autour de l’arbre. Boule s’est assis au pied d’un arbre, un peu plus loin, complètement abasourdi. Seule Doc reste opérationnelle. Elle doit prioriser: le Père étant le plus âgé et le plus susceptible de succomber, elle se précipite vers lui.

Alors que Boule est perdu dans ses pensées, il sent l’écorce de l’arbre petit à petit l’entourer, comme des bras qui l’enlacent. Il se sent connecté à l’arbre, à la forêt, et peut-être même à sa soeur ; à travers lui, sa soeur vient lui parler. Elle lui en veut de l’avoir laissée mourir. Toute sa rage adolescente, les restes de sa conscience pre-mortem, se focalise sur Boule. L’écorce continue à se resserrer autour de l’ingénieur. Il comprend alors qu’il a deux choix: soit il peut se laisser envahir par l’arbre, se faire consumer par lui et ainsi tenter d’apaiser la conscience végétale de sa soeur, soit il peut s’extraire pour tenter de comprendre ce qui est arrivé à celle-ci.

La renaissance de Boule est douloureuse. Il s’extrait de l’écorce et abandonne sa rédemption mystique. Il sait qu’il comprendra tout cela, un jour.

Pendant ce temps, Mara est dans une transe chamanique. Elle fait le tour du chêne millénaire en dansant et en chantant. Elle est en communion avec l’arbre, jusqu’à ce que Boule se détache de l’écorce. Alors, la transe s’arrête net et la biologiste tombe inconsciente à son tour. Doc se précipite maintenant vers elle, puisque le Père est (normalement) en sécurité, et lui prodigue les premiers soins. Une analyse sanguine rapide montre que Mara est touchée par une maladie étrange. Sa connexion avec l’arbre fait muter son sang qui petit à petit devient végétal. Cela n’est pas sans rappeler ce qui est arrivé à la soeur de Boule.

Doc fouille dans son sac. Depuis l’incident de la soeur de de Boule, Doc travaille sans relâche. C’est la seule et unique patiente qu’elle a perdu durant sa carrière et elle s’en veut. Elle qui met la vie humaine au dessus de tout, ce fut un vrai choc à l’époque. Maintenant que ce vieux fantôme du passé rejaillit, elle ne va pas se laisser faire. Elle compte bien sauver Mara. Doc sort de son sac des injections d’anti-corps. Si elle administre cela à Mara, la maladie ne devrait pas résister.

Seulement, la biologiste ne compte pas se laisser faire comme cela. Cette maladie, qui ronge son sang, ses cellules, lui rappelle le cancer que sa mère a combattu il y a quelques années. Elle s’en est sortie la tête haute et est décédée plus tard d’une belle mort, mais son salut ne vient pas de la médecine traditionnelle mais de la spiritualité. Mara s’est métamorphosée depuis, passant d’une jeune femme stricte et timide en une sorte de rebelle hédoniste. Depuis, elle tente de rester le plus possible en communion avec la nature. Et justement, cette “maladie”, cette transformation de son corps la rapproche de plus en plus de la forêt. Elle se sent faire partie d’un tout, de Millevaux tout entier. Lorsque Doc tente de lui administrer le remède, la réaction de Mara est aussi rapide que l’éclair. Non, elle ne souhaite pas perdre ce contact avec la forêt, quitte à mourir au milieu des arbres. Elle repousse donc violemment Doc.

Le soir va bientôt tomber. Le groupe va monter un bivouac. Boule reste muet, toujours bouleversé par son expérience. Mara se met à l’écart des autres, très certainement méfiante. Le Père est encore groggy et marche tel un zombi. Seule Doc semble opérationnelle. Les explorateurs s’éloignent du chêne millénaire et arrivent près d’une falaise. Ils décident de monter le camp au bord de celle-ci, pour des raisons stratégiques (il n’y a qu’un seul côté à surveiller).

Boule se propose de ramasser du bois mort pour faire du feu. Il taille des branches vertes également, pour passer le temps. Il se rend soudain compte que chacun de ses coups de couteau sur les branches se transforme en taillades sur les poignées de Mara. Celle-ci souffre dans son coin sans en parler à Boule mais elle souffre de plus en plus et très vite elle ne peut plus se taire. Ses manches sont à présent gorgées de sang. Le Père est horrifié. Il se dit que tout ceci ne peut être l’oeuvre du divin. Il prend secrètement les injections de Doc et tente de les administrer à Mara.

Celle-ci refuse à nouveau et une lutte s’engage entre le pasteur et la biologiste. Le vieux patriarche trébuche sur une pierre et tombe dans la falaise. Il se rattrape de justesse à la jambe de Mara et tente de l’entraîner avec lui. Les deux explorateurs sont maintenant accrochés à la paroi de la falaise, les pieds dans le vide. Boule étant parti chercher du bois, seule Doc peut réagir. Malheureusement, elle ne pourra pas sauver les deux en même temps. Elle qui a toujours mis la vie humaine au dessus de tout. Doc n’a pas le temps d’hésiter. Elle se laisse emporter par sa rancoeur, sa frustration ne n’avoir pas pû administrer son remède. Elle sauve le Père et laisse tomber Mara dans la falaise.

Le soleil se lève.

Le groupe, en deuil, décide de descendre le long de la falaise. D’une part, ils auront peut-être une chance de retrouver le corps de Mara et lui donner une sépulture décente. D’autre part, ils veulent s’éloigner le plus possible de l’arbre millénaire.

En arrivant en bas, les explorateurs découvrent Mara au milieu d’un cercle de pierres et d’eau. Elle est assise en tailleur. Son corps est rongé par la maladie végétale. Boule se précipite vers elle. Il est le seul assez fort pour déraciner Mara de son emplacement. Malheureusement, lorsqu’elle sort du cercle, elle commence à perdre sa vitalité. Le Père tente de restaurer sa position initiale mais la biologiste ne semble pas réagir.

Le vieux pasteur regarde Mara. Elle lui rappelle ses jeunes années adolescentes et rebelles. Car oui, avant de rentrer dans les ordres, le Père n’était pas des plus sages. Au contraire, il a tenté de braver les interdits parentaux (son père était pasteur également) car le dogme lui semblait trop strict pour mener une vie réelle, une vie sans mensonge, la vraie vie. Mais le temps et la sagesse bien pensante ont eu raison du Père qui est rentré dans les rangs. Maintenant qu’il est là, loin de chez lui, c’est son ancien lui qui reprend le dessus.

Après tout qu’a-t-il à perdre ? Il prend Mara dans ses bras et la place, tant bien que mal, au centre du cercle de pierre et d’eau. Il se laisse alors aller, il prie comme il n’a jamais prié avant: avec le coeur.

Mara reprend racine et, dans les bras du Père, tous deux sont peu à peu recouverts de lianes et de bruyères. Un nouvel arbre dans Millevaux.

Fiches de personnage

BouleIngénieur

Le monde est plein de secrets pour les hommes à comprendre, ainsi va le monde.

Nul secret ne doit échapper à l’homme, quelque soit le prix, ainsi va le monde.

MaraBiologiste / Chaman

Un dessein pour chacun. Mais seul, nous sommes architecte de nos vie, ainsi va le monde.

N’oublie pas, même les ténèbres mènent à la lumière, ainsi va le monde.

DocMédecin

La vie de quelqu’un est primordiale, ainsi va le monde.

Il faut connaître ses priorités et les assumer, ainsi va le monde.

Le PèrePasteur

Les voies du ciel sont impénétrables, ainsi va le monde.

Il faut prier avec le coeur, ainsi va le monde.

Retours

  • Deuxième playtest de Terres de Sang est Millevaux. Le jeu tourne bien, c’est une agréable constatation. J’y vois deux raisons: d’une part il est motorisé par Terres de Sang qui a été testé et éprouvé, et d’autre part parce que l’univers de Millevaux est fort et cohérent. Bien sûr des accrochages auraient pu survenir mais pour le coup, ce n’a pas été le cas.
  • Les joueurs ne connaissaient ni la scène indépendante, ni les jeux sans meneur, ni l’univers de Thomas. Et finalement ça tourne bien quand même ! Merci à eux pour leur ouverture d’esprit.
  • Le fait de demander une référence culturelle forte en début de partie fonctionne bien. Après Altered Carbon du premier playtest, ici nous avons Annihilation. Cela permet de donner une ambiance forte dès le départ. Puis la présentation de Millevaux peut se permettre d’être plus brève: ici je n’ai présenté que les bases sans rentrer dans les détails.
  • C’est assez amusant de voir que les deux playtests ont donné des fictions en surface assez similaire: la forêt qui est le refuge de choses qui nous dépassent. Je pense que l’essence de Terres de Sang (explorer sa propre conscience) combinée à celle de Millevaux conduit naturellement à ce genre de fiction. Bien sûr, en regardant plus au fond des choses, les deux fictions se distinguent de par les thèmes abordés.
  • Mon personnage (le Père) s’est révélé être un personnage sacrificiel. Son Conflit arrive à la fin et s’est un peu greffé à la volée. Ce n’est pas un souci en tant que tel. Le livre de base de Terres de Sang propose des pistes pour gérer ce genre de situation.
  • Un phénomène à souligner durant cette partie: afin de monter le Conflit d’un personnage, les autres joueurs se sont souvent mis à l’écart pour se mettre d’accord sur ce qui va se passer dans la fiction. Par exemple, pour le Conflit de Doc, la joueuse de Mara et moi-même avions quitté la table le temps de se mettre d’accord sur le fait qu’on allait se battre pour que Doc ne puisse en sauver qu’un. Cette méthode paraît élégante et permet des effets dans la fiction plus poussés. Cela permet également la connivence et la complicité entre joueurs.
Par angeldust, il y a

[Terres de Sang] CR – Dans la Nébuleuse

CR d’une partie jouée lors de mon passage à Paris, à la Boite à Chimère.

Nombre de joueurs: 4 joueurs qui découvrent le jeu + moi en tant que Guide
Durée de la partie: 45minutes d’explications et de création de personnage + 1h30 de jeu

Objectif du CR: présenter rapidement la fiction et donner quelques suggestions pour jouer avec des débutants.

Dans une nébuleuse

Contexte

Le setting est créé par les joueurs en début de partie. Les mots clés retenus sont:
– Technologie
– Nuage
– Mysticisme
– Ruines

Les joueurs sont partis sur un univers futuriste où les explorateurs débarquent sur une nébuleuse.

L’ambiance dès le départ se voulait fun, ubuesque et décalée.

La Fiction

L’équipe est composée de quatre voyageurs: le Pilote, le Grand Père religieux, la Scientifique et la Cuisto.

L’expédition fait naufrage après avoir traversé un nuage étrange et débarquent sur/dans une nébuleuse.

La Cuisto enlève tout de suite sa combinaison et hume l’air: ça sent la bergamote ! Elle qui a toujours voulu découvrir de nouvelles saveurs pour générer de nouvelles émotions, elle ne peut s’empêcher de vouloir partir à l’affût de cette senteur: il faut dire que la bergamote nébuleuse n’est pas commun ! Aidée de sa fidèle araignée renifleuse (Fluffinou), la Cuisto découvre un cristal de sucre géant dans lequel dansent d’étranges silhouettes. Après avoir creusé avec ses compagnons dans le cristal (et non sans avoir goûté le sucre), les silhouettes dansantes peuvent être accessibles si on prend la peine de plonger dans le cristal dont l’intérieur est bien sûr non euclidien. Les senteurs nouvelles viennent de là dedans, c’est sûr. Fluffinou, l’araignée renifleuse, s’engouffre dans le cristal tandis que celui-ci se referme. La Cuisto a un choix à faire: laisser Fluffinou découvrir et rapporter la nouvelle senteur mais perdre son animal, ou abandonner et ne jamais avoir accès à cette nouvelle gamme d’émotions que ces senteurs pourraient procurer. Elle se souvient de ses échecs, de ses années d’études, de ses moments difficiles où Fluffinou était toujours là pour elle. Au diable l’ambition, elle n’abandonnerait pour rien au monde son compagnon à huit pattes.

Tandis que la Cuisto récupère Fluffinou et abandonne les senteurs, la Scientifique, quant à elle, se lance à corps perdu dans le cristal. Elle sait qu’il y a là un mystère qu’elle doit découvrir, même au prix de sa propre lui. Elle a toujours été terre à terre, cartésienne, elle ne pouvait se résigner à ne pas savoir ce qu’il y avait dans le cristal. Tout cela remettait en question sa manière de penser, ses années d’études acharnées, tous ses sacrifices antérieurs. C’est donc sous les yeux horrifiés de ses compagnons qu’elle disparaît dans le cristal, devenant elle même une silhouette dansante, tandis que le sucre se reforme pour reboucher le trou.

Après un moment de recueillement, l’équipage repart et découvre un temple inversé. L’intérieur est non euclidien, les couloirs se mélangent dans un torrent de lumières et de sons étranges. Les explorateurs sont emmenés dans une sorte de montagne russe menant au coeur du temple. Là un tribunal est installé et Grand Père est amené à comparaître. Le juge est une voix caverneuse: celle de la Scientifique qui a atteint l’illumination suprême. Elle accuse le Grand Père d’être un faux prophète. Au départ, celui-ci ne comprend pas (pourquoi serait-il un faux prophète s’il n’avait pas conscience de ces être supérieurs ?), mais il réalise très vite qu’il ne s’agit pas de religion mais de lui en tant que personne. En effet, le Grand Père avait une mère très dogmatique et très sévère qui se cachait derrière ses principes pour ne pas avoir à faire face à la réalité de la vie. Dans sa jeunesse, Grand Père était un rebelle, un punk, mais au fur et à mesure des années, il s’est assagi et est revenu aux fondamentaux de son enfance: dogme et religion. La juge lui propose d’abandonner ses dogmes et de le rejoindre dans l’inconnu. Effrayé par cette proposition, le Grand Père refuse. C’est alors qu’un rayon lumineux fait disparaître le Grand Père. Qui sait ce qu’il est devenu ?

C’est au tour du Pilote d’être amené devant la barre. Mais au lieu d’un procès, c’est une porte remplie de lumière aveuglante qui s’ouvre devant lui. La Scientifique s’avance complètement nue et lui tend les bras. Elle lui propose de la rejoindre dans l’illumination, d’être son second. A ces mots, le Pilote ne peut s’empêcher de frissonner. Depuis qu’il est ado, il s’est juré de ne plus jamais être le deuxième. Lui est était l’aîné de la fratrie, il a vu sa soeur atteindre des sommets (l’université, un bon job, une vie stable, etc.) alors lui faisait le punk dans les rues le soir, fumant des joints et roulant à toute allure en moto. Depuis, il s’est mis un gros coup de pied au cul pour entrer dans l’académie des pilotes et s’est toujours promis de ne plus jamais être deuxième dans quelque chose. Pourtant, la Scientifique lui fait tellement penser à sa soeur. Il ne peut se résigner à lui prendre la place de première et accepte donc l’illumination en tant que second. C’est pas mal aussi, second…

Quelques suggestions

– La partie s’est très bien déroulée.
– Un Guide et 4 joueurs c’est beaucoup. Le format idéal pour l’initiation est en général 1 Guide pour 2/3 joueurs.
La présence d’un Guide est essentiel dans une partie d’initiation.
– Les joueurs qui découvrent le jeu ont souvent besoin de plus d’éléments que 2 Augures et 1 Ancrage pour jouer leur personnage. Une bonne initiative serait de faire un tour d’introspection en amont de la phase de Naufrage, simplement comme « tour de chauffe« : on peut poser des questions sur le passé du personnage sans forcément entrer dans le questionnement de l’Ancrage.

[Terres de Sang] De la Spirale vers soi

Aujourd’hui c’est Théorie ! Voilà un bail que je n’en avais pas parlé sur ce site (2016 ?). On va donc doucement remettre le pied à l’étrier.

Le sujet du jour est ce que j’appelle la Spirale vers soi ou de la Convergence vers soi. C’est un « phénomène » qui est facilité / encadré par les règles de Terres de Sang et c’est pourquoi j’ai à coeur de vous en parler dans cet article.

Objectif

Montrer le phénomène de Spirale vers soi et l’illustrer avec les règles de Terres de Sang. Il ne s’agit pas de décrire une vérité absolue mais de mettre le doigt sur un phénomène que j’ai observé dans mes parties de JDR et plus particulière dans Terres de Sang.

Observation 1

Il existe une porosité entre le joueur et le personnage qu’il incarne.

Cela peut paraître une évidence mais j’ai l’impression qu’il est important de le rappeler: on met forcément de nous dans nos PJ. Même dans le cas le plus extrême où je suis amené à jouer un personnage très loin de mon domaine d’appréhension (genre une race alien au fin fond de l’univers), je vais être obligé, pour jouer ce personnage, de le ramener à quelque chose que je connais. Pas le choix puisque je ne peux pas connaître ce que je ne connais pas (logique hein !). Dans The Watch, par exemple, les joueurs sont inviter à jouer des femmes qui luttent contre une menace appelée « The Shadow » dans un univers médiéval low fantasy. Le truc dans ce jeu, c’est qu’on ne peut jouer que des femmes (ou presque) et qu’il y a un large de choix de genres (non binaire, fluide, cis, etc.). Du coup, lorsque je joue à ce jeu, bien que j’endosse le rôle de quelqu’un qui peut être radicalement différent de moi (une guerrière cis-genre), je ne peux qu’interpréter ce rôle à la lueur de ce que je comprends, de ce que je connais. Je me mets à la place de mon PJ et je ne peux que tenter d’approcher le personnage de part mon expérience propre. Éventuellement, le jeu peut m’aider à le faire, mais indéniablement, je jouerai ma propre interprétation d’un personnage.

On peut mettre sur une ligne deux points: un qui me représente et un qui représente mon PJ. La distance entre les deux points est le reflet la porosité entre moi et lui. Plus la distance est petite, plus mon PJ est proche de moi en tant qu’individu. On va garder ça pour plus tard 😉

Observation 2

Il y a des moments qui font diminuer la distance entre le joueur et le PJ.

Puisque nous jouons nos personnages à la lueur de notre expérience du monde que nous connaissons, les actes du PJ sont un reflet de notre personnalité. Notre implication émotionnelle dans la fiction, notre immersion, peut provoquer une diminution plus ou moins grande de la distance joueur/PJ. Une conséquence de ce rapprochement est le bleed (cf. article de Thomas Munier), ce phénomène qui fait qu’il y a transparence des émotions entre mon PJ et moi. En gros, je ressens la même chose que mon PJ ou mon PJ ressent la même chose que moi à un moment donné.

Ces moments de rapprochement sont souvent des temps forts dans la fiction. Par exemple, lorsque je suis mis sous pression dans la fiction (face à un choix cornélien par exemple), j’ai tendance à me replier sur mes réflexes, mes acquis personnels, sur mon sens de la morale, etc. Au final, c’est ma position en tant que joueur qui influe sur ce que mon personnage fait (cf article de Frédéric Sintes sur le narrativisme).

Si on reprend le graphe précédent et qu’on ajoute une ligne du temps (de partie ou dans la fiction), on peut représenter le rapprochement de moi et de mon PJ. Parfois, les deux points peuvent s’éloigner bien sûr, mais pour une meilleure compréhension, je ne vais montrer que des points qui se rapprochent. On peut relier les points et observer une convergence des deux courbes: c’est ce que j’appelle la Convergence vers soi.

Cette convergence est bien sûr continue au fil de la partie, ou de la campagne. Plus on joue longtemps, plus on « comprends » notre PJ, plus j’ai d’empathie pour lui, plus nous nous rapprochons.

Construire un système de convergence

Dans Terres de Sang, les règles encadrent ce phénomène de convergence et le transforme en une forme de Spirale vers soi.

1. Les Augures

Les Augures sont des signes du ciel laissés à l’interprétation des joueurs: au moment de la création des personnages, chaque joueur tire deux Augures pour son PJ. Il décrit ensuite en quoi ces Augures ont influencé la vie de son personnage.

Ainsi, avant même que le jeu ne commence, le joueur investie sa vision du monde dans son personnage.

2. Le cycle de narration

La narration dans Terres de Sang est cyclique. Les personnages, après avoir fait Naufrage, passent par des phases d’Exploration, d’Introspection, de Conflit et de Reconstruction. Lors de la phase de Conflit, le personnage se retrouve face à une épreuve morale. Les règles permettent de construite une phase de Conflit avec un impact maximum, à l’aide notamment des phases d’Exploration et d’Introspection qui investiguent la psychologie du PJ (et permettent donc de trouver un choix moral qui fait mal). Ainsi, le Conflit agit comme un temps fort de la fiction durant lequel le joueur doit se positionner moralement.

3. L’Ancrage et la phase de Reconstruction

Une des étapes de la création de personnage est le renseignement de l’Ancrage. L’Ancrage est un adage qui illustre la vision du monde du PJ et se termine toujours par « Ainsi va le monde« .  Par exemple, une phrase comme « Les forts doivent régner sur les faibles, ainsi va le monde » peut être l’Ancrage d’un personnage. Cette phrase définit la vision du monde du PJ.

Durant la phase de Conflit, cette vision est souvent mise à mal et le joueur s’est positionné moralement face à l’épreuve qui lui est soumise.

Durant la phase de Reconstruction (qui se déroule après la phase de Conflit), le joueur est invité à rayer son Ancrage et à en écrire un nouveau. Ceci acte sur le papier le positionnement moral que le joueur a adopté, transposé sur la vision du monde du PJ. Ainsi, la distance entre le joueur et le PJ diminue, sans possibilité de retour.

L’enchaînement des cycles de narration et du changement des Ancrages tend à rapprocher le joueur du PJ, comme si le PJ se trouvait dans une Spirale le menant à fusionner (si on est extrême) avec le joueur.

Le mot de la fin

Dans cet article, j’ai tenté de montrer le phénomène de Convergence vers soi, qui dans Terres de Sang peut aussi s’exprimer comme une Spirale vers soi. Est-ce que vous aussi vous observez ce genre de phénomène dans vos parties (quelque soit le jeu) ?

N’hésitez pas à venir discuter de ce phénomène sur les Courants Alternatifs. Merci à Valentin pour la mise en concept.


Un peu d’autopromo

Terres de Sang est disponible sur lulu.com pour 12€ ou en pdf à prix libre (7€ proposé).


 

[Terres de Sang] Compte rendu de partie – Le mystère des automates

Voici un compte rendu d’une partie de Terres de Sang par Arjuna sur les Courants Alternatifs. Cliquez ici !

La partie qui a été jouée est un peu particulière car Arjuna n’a eu en main que les aides de jeu. Il ne connaissait pas le jeu et je ne lui ai jamais fait joué non plus.

La conclusion est un peu mitigée, ce qui rend le compte rendu particulièrement intéressant et montre l’importance de la transmission d’un jeu !


 

[Terres de Sang] Compte rendu de playtest – 23/01/2017

 

Lundi dernier nous avons testé la dernière mouture de Terres de Sang (la version 6.2) par hangout avec entre autre Thomas Munier. C’était l’occasion pour moi non seulement de faire jouer le jeu mais également de tenter de le transmettre à un auditoire peu habitué à mon style de jeu.

Rôles

Durant cette partie, je serai le Guide: un animateur, un facilitateur, pour la partie. Je ne jouerai pas de personnage. Les autres joueurs, Orane, Isabelle, Yaël et Thomas incarneront chacun un explorateur.

Contexte de départ

Dans Terres de Sang, il est possible de choisir de manière consensuelle un contexte de départ. Par défaut, c’est une ambiance de type « Conquistador » qui est proposée. C’est ce que les joueurs ont décidé de choisir et le jeu propose de s’affranchir des contraintes historiques pour ne garder que le canon esthétique de cette période de l’Histoire.

Le Thème choisit par les joueurs pour l’exploration est « un radeau sur un fleuve ». Le Thème dans Terres de Sang permet de faciliter l’improvisation et le cadrage des scènes. Il est rappelé en début de partie que les personnages ne rencontreront jamais d’indigènes (mais ils peuvent en rencontrer les traces et des suggestions de leur existence).

Les explorateurs

Les personnages sont:

Caprice, une jeune éclaireuse novice. « On reste enfant si on fuit ses peurs, ainsi va le monde ».

Christian, un pirate reconverti en marin à la recherche d’un mystérieux trésor. « Riche ou pauvre, la mort nous attend tous, ainsi va le monde ».

Enzo, un bâtisseur venu apporter la civilisation. « C’est en laissant une trace dans la Pierre qu’on laisse une trace dans l’Histoire, ainsi va le monde »

Adriel, un marin de bonne famille qui veut accomplir de grandes choses. « Toujours différent, sans cesse à changer, ainsi va le monde ».

La Fiction

Tout commence par un naufrage. Les explorateurs sont les seuls survivants. Les débris du navire sont éparpillés un peu partout.

Caprice et Christian partent en avant pour essayer de découvrir ce qu’il y a dans la jungle tandis que Enzo et Adriel restent sur la plage pour tenter de confectionner un radeau. Le groupe d’éclaireur suivent un fleuve et s’enfoncent dans la jungle, guidés par une carte achetée par Christian. Celle-ci mènerait, d’après lui, à un mystérieux trésor. Malgré le réticence et la peur de Caprice, les deux aventuriers avancent dans l’inconnu. Ils trouvent un coffre, enfoui dans la terre, à l’endroit exact indiqué par la carte. Mais à la grande déception du pirate repenti, le coffre ne convient que des ossements d’une créature inconnue. Très déçu, Christian propose de faire demi tour. La décision est approuvée par Caprice qui a peur, et à raison, que la nuit de les surprennent.

La déception est d’autant plus compréhensible que Christian vénère la mythologie pirate depuis que ces derniers l’ont recueilli après un raid meurtrier. A l’époque, le petit Christian était un fils de bonne famille, mousse sur un bateau pour se forger à la vie. Les pirates ont pillé et massacré les membres de l’équipage et l’ont recueilli parmi les leurs. Depuis, Christian poursuit les rêves de gloire et de richesse propres aux marins renégats, et c’est auprès d’un vieil homme qu’il a acheté sa carte aux trésors.

Durant le chemin de retour, les deux explorateurs tombent sur un navire submergé dans le fleuve. D’étranges lumières et des inscriptions cryptiques sont visibles de la berge et poussent Christian à envoyer Caprice faire son travail d’éclaireuse. Malgré ses contestations, la jeune femme est contrainte de plonger et trouve au fond de l’eau un lit de cadavres et de débris. Elle remonte, transite de peur et mouillée jusque l’os.

La pauvre Caprice a été élevée par une famille psychorigide dont le seul but était de former la cadette à son futur travail d’éclaireuse. Pour l’endurcir et pour qu’elle puisse faire face aux potentiels indigènes, sa mère lui faisait marcher sur des braises. Son entrainement était intense, malsain et terriblement douloureux. En arrivant sur le Nouveau Continent, la jeune femme couvait une appréhension grandissante et les récits qu’elle avait entendu enfant sur les indigènes la hantait.

En rentrant au camp, Caprice s’effondre, fiévreuse. Pendant ce temps, Adriel et Enzo, restés sur la plage, ont commencé à réunir les débris autour d’eux pour construire un radeau. Le fleuve à proximité était une parfaite opportunité pour explorer à moindre effort et potentiellement rencontrer des villages d’indigènes installés le long du cours d’eau. Sous la supervision du bâtisseur, Adriel dégage la figure de proue du navire, qui ferait une excellente plateforme. Autour de celle-ci, le marin découvre un médaillon étrange d’une tortue sur laquelle est gravée la devise de sa famille. Pour lui, cela ne fait aucun doute, c’est un signe du destin: la tortue est un de ses Augures. Quant à la devise de sa famille, le mystère reste entier.

Adriel est également un fils de bonne famille, dont le point d’honneur est de « changer le monde, pour le mieux ». Explorateurs, hommes de sciences, visionnaires de génération en génération, sa famille est un élément essentiel dans la vie d’Adriel. Il est d’ailleurs sur ces terres sauvages dans le but de découvrir quelque chose qui pourrait améliorer l’humanité. Le fait qu’un médaillon sur lequel est gravé la devise de sa famille soit retrouvé ici est effectivement un signe. Sinon, quelle explication logique pourrait-on trouver à cet étrange découverte ?

Le lendemain, malgré la faiblesse de Caprice, les quatre survivants embarquent sur le radeau confectionné par Adriel et Enzo. Le navire de fortune remonte le fleuve, passe au milieu d’une dense végétation et arrive devant un immense temple, plus grand que n’importe quel monument connu du Vieux Continent. Enzo est subjugué. En tant que bâtisseur et architecte, cette découverte le bouleverse et le fascine. Et cette ouvrage intègre à la perfection les proportions divins, le nombre d’or. Ce nombre a une signification particulière dans l’esprit d’Enzo. Pour lui, c’est le signe que la nature, le divin, est présent dans toute chose, que sa loi est visible dans les mathématiques et que l’homme se doit de la reproduire dans la pierre pour rendre éternel cette perfection.

Enzo, à la barre du radeau, conduit le groupe à l’entrée du temple. La fleuve semble s’écouler dans la bâtisse. L’antichambre de celle-ci est gigantesque, comme si elle était construite pour des géants, des dieux. Des fresques montrent des cartes complètes du monde, incluant le Nouveau et le Vieux Continent, du ciel et des étoiles. Il semble qu’il existe de nombreux temples et que certains points sont même marqués dans sur le Vieux Continent. Sur ces mêmes fresques, on peut voir des sacrifices, des actes de cannibalisme et toute sorte d’horreurs qui semblent mener à la connaissance suprême. Enzo est complètement subjugué par cette découverte.

Le radeau continue son chemin dans le temple et les explorateurs arrivent bientôt dans une salle de cérémonie. Un autel trône majestueusement au milieu des murs couverts de fresques. Adriel a un sursaut. Il reconnait l’étendard qui est accroché au mur derrière l’autel: il s’agit d’un pavillon arborant les armoiries de sa famille. Un de ses ancêtres était effectivement ici. De nombreux cadavres autour de l’autel confirment cette hypothèse. L’un d’eux porte un collier similaire en forme de tortue. Il tient dans ses mains décharnées un journal de bord qui prévient clairement qu’il ne faut surtout pas ramener la connaissance sur le Vieux Continent. Il n’y a pas d’autres explications. Adriel est confus. Il y a pourtant de quoi améliorer les connaissances de l’humanité. Pourquoi s’en priver ? Tant pis, le marin prend les devants, fait fi des avertissements et commence à recopier les fresques.

De son côté, Christian se trouve face à une évidence. Il n’y avait pas de trésor. La légende des pirates était fausse.La vrai histoire est plus tragique, moisn mythique. Tout est parti de cet endroit, de cette expédition d’antan, et le trésor se trouve devant ses yeux. En désespoir de cause, le pirate repenti se saisit de sa lance et commence à défaire les quelques pierres précieuses se trouvant sur les fresques et détruisant au passage les cartes gravées.

Enzo, quant à lui, continue à regarder les fresques, cette perfection. Il le sait, il n’atteindra que cette perfection s’adonnant à ces crimes odieux. Faire couler le sang sur l’autel pour avoir accès à toutes ces connaissances. Mais qui sacrifier ? Le regard du bâtisseur s’arrête sur Caprice, faible et fiévreuse. Elle allait mourir pour la science. Enzo dépose le corps frêle de la jeune éclaireuse sur l’autel et se saisit d’un poignard d’obsidienne à portée. La lame traverse le coeur de Caprice qui, dans un dernier souffle, murmure « je n’ai plus peur »…

Le sang coule le long de l’autel et se propage le long des rainures de la fresque au sol.

Fondu en noir.

Quelques retours des joueurs et réflexions de créateur

La création des personnages s’est très bien déroulée. Cette phase est à peu près bien rodée. Les Augures permettent à la fois d’inspirer les joueurs qui n’ont pas l’inspiration immédiate et peuvent être ignorés sans soucis.

Il est important, pour lancer les joueurs dans l’ambiance, de disposer d’au moins un texte d’ambiance pour le début de la partie (quelque chose de générique à propos du naufrage). J’ai l’impression que c’est quelque chose qui a manqué.

Pour cette partie, j’ai choisi d’expliquer les règles au fur et à mesure. La structure du jeu n’était donc pas visible dès le départ et le retour des joueurs montrent que j’ai eu tord de procéder ainsi. Avec une vision plus globale de l’économie du jeu (scène d’exploration, scène d’introspection, scène de choix moral) et des enjeux de chaque phase, les joueurs auraient eu plus de billes pour improviser et cadrer les scènes. Ils sauraient  au moins où il vont et c’est quelque chose qui a manqué. Par ailleurs, le choix de dissocier dans le temps les différentes phases était une bonne idée: par exemple la scène de choix et la scène d’introspection ne sont pas obligés de se suivre. Parfois, la scène de choix s’imbriquent mieux dans la narration si elle est retardée. En fait, les joueurs doivent comprendre rapidement que les scènes d’exploration et d’introspection sont là pour donner des éléments pour cadrer une scène de choix moral.

A l’avenir, il conviendra de montrer la structure du jeu avant de commencer. Éventuellement, il me faudra produire des aides de jeu adéquats.

La question des conflits entre explorateur reste en suspend. Il me faudra trouver des techniques de jeu pour qu’un joueur ne dépossède pas un autre d’un choix moral.

Globalement, je suis très satisfait de ce playtest. Il a permis de consolider les bases du jeu et de questionner les points encore flous. Les retours des joueurs ont été très constructifs et je les remercie encore.

A très bientôt pour de nouvelles expéditions !


 

Par angeldust, il y a