[Terres de Sang] CR – Dans la Nébuleuse

CR d’une partie jouée lors de mon passage à Paris, à la Boite à Chimère.

Nombre de joueurs: 4 joueurs qui découvrent le jeu + moi en tant que Guide
Durée de la partie: 45minutes d’explications et de création de personnage + 1h30 de jeu

Objectif du CR: présenter rapidement la fiction et donner quelques suggestions pour jouer avec des débutants.

Dans une nébuleuse

Contexte

Le setting est créé par les joueurs en début de partie. Les mots clés retenus sont:
– Technologie
– Nuage
– Mysticisme
– Ruines

Les joueurs sont partis sur un univers futuriste où les explorateurs débarquent sur une nébuleuse.

L’ambiance dès le départ se voulait fun, ubuesque et décalée.

La Fiction

L’équipe est composée de quatre voyageurs: le Pilote, le Grand Père religieux, la Scientifique et la Cuisto.

L’expédition fait naufrage après avoir traversé un nuage étrange et débarquent sur/dans une nébuleuse.

La Cuisto enlève tout de suite sa combinaison et hume l’air: ça sent la bergamote ! Elle qui a toujours voulu découvrir de nouvelles saveurs pour générer de nouvelles émotions, elle ne peut s’empêcher de vouloir partir à l’affût de cette senteur: il faut dire que la bergamote nébuleuse n’est pas commun ! Aidée de sa fidèle araignée renifleuse (Fluffinou), la Cuisto découvre un cristal de sucre géant dans lequel dansent d’étranges silhouettes. Après avoir creusé avec ses compagnons dans le cristal (et non sans avoir goûté le sucre), les silhouettes dansantes peuvent être accessibles si on prend la peine de plonger dans le cristal dont l’intérieur est bien sûr non euclidien. Les senteurs nouvelles viennent de là dedans, c’est sûr. Fluffinou, l’araignée renifleuse, s’engouffre dans le cristal tandis que celui-ci se referme. La Cuisto a un choix à faire: laisser Fluffinou découvrir et rapporter la nouvelle senteur mais perdre son animal, ou abandonner et ne jamais avoir accès à cette nouvelle gamme d’émotions que ces senteurs pourraient procurer. Elle se souvient de ses échecs, de ses années d’études, de ses moments difficiles où Fluffinou était toujours là pour elle. Au diable l’ambition, elle n’abandonnerait pour rien au monde son compagnon à huit pattes.

Tandis que la Cuisto récupère Fluffinou et abandonne les senteurs, la Scientifique, quant à elle, se lance à corps perdu dans le cristal. Elle sait qu’il y a là un mystère qu’elle doit découvrir, même au prix de sa propre lui. Elle a toujours été terre à terre, cartésienne, elle ne pouvait se résigner à ne pas savoir ce qu’il y avait dans le cristal. Tout cela remettait en question sa manière de penser, ses années d’études acharnées, tous ses sacrifices antérieurs. C’est donc sous les yeux horrifiés de ses compagnons qu’elle disparaît dans le cristal, devenant elle même une silhouette dansante, tandis que le sucre se reforme pour reboucher le trou.

Après un moment de recueillement, l’équipage repart et découvre un temple inversé. L’intérieur est non euclidien, les couloirs se mélangent dans un torrent de lumières et de sons étranges. Les explorateurs sont emmenés dans une sorte de montagne russe menant au coeur du temple. Là un tribunal est installé et Grand Père est amené à comparaître. Le juge est une voix caverneuse: celle de la Scientifique qui a atteint l’illumination suprême. Elle accuse le Grand Père d’être un faux prophète. Au départ, celui-ci ne comprend pas (pourquoi serait-il un faux prophète s’il n’avait pas conscience de ces être supérieurs ?), mais il réalise très vite qu’il ne s’agit pas de religion mais de lui en tant que personne. En effet, le Grand Père avait une mère très dogmatique et très sévère qui se cachait derrière ses principes pour ne pas avoir à faire face à la réalité de la vie. Dans sa jeunesse, Grand Père était un rebelle, un punk, mais au fur et à mesure des années, il s’est assagi et est revenu aux fondamentaux de son enfance: dogme et religion. La juge lui propose d’abandonner ses dogmes et de le rejoindre dans l’inconnu. Effrayé par cette proposition, le Grand Père refuse. C’est alors qu’un rayon lumineux fait disparaître le Grand Père. Qui sait ce qu’il est devenu ?

C’est au tour du Pilote d’être amené devant la barre. Mais au lieu d’un procès, c’est une porte remplie de lumière aveuglante qui s’ouvre devant lui. La Scientifique s’avance complètement nue et lui tend les bras. Elle lui propose de la rejoindre dans l’illumination, d’être son second. A ces mots, le Pilote ne peut s’empêcher de frissonner. Depuis qu’il est ado, il s’est juré de ne plus jamais être le deuxième. Lui est était l’aîné de la fratrie, il a vu sa soeur atteindre des sommets (l’université, un bon job, une vie stable, etc.) alors lui faisait le punk dans les rues le soir, fumant des joints et roulant à toute allure en moto. Depuis, il s’est mis un gros coup de pied au cul pour entrer dans l’académie des pilotes et s’est toujours promis de ne plus jamais être deuxième dans quelque chose. Pourtant, la Scientifique lui fait tellement penser à sa soeur. Il ne peut se résigner à lui prendre la place de première et accepte donc l’illumination en tant que second. C’est pas mal aussi, second…

Quelques suggestions

– La partie s’est très bien déroulée.
– Un Guide et 4 joueurs c’est beaucoup. Le format idéal pour l’initiation est en général 1 Guide pour 2/3 joueurs.
La présence d’un Guide est essentiel dans une partie d’initiation.
– Les joueurs qui découvrent le jeu ont souvent besoin de plus d’éléments que 2 Augures et 1 Ancrage pour jouer leur personnage. Une bonne initiative serait de faire un tour d’introspection en amont de la phase de Naufrage, simplement comme « tour de chauffe« : on peut poser des questions sur le passé du personnage sans forcément entrer dans le questionnement de l’Ancrage.

Créer son jeu de rôle (2) – Crashtests

C’est parti pour le round 2 !

La dernière fois, je vous ai dit que tous les choix que nous faisons en tant que créateurs de jeu étaient important. Je vous ai dit qu’il fallait se poser tout un tas de questions sur la pertinence de nos choix et qu’il fallait tout remettre en question lors du processus créatif. Ma méthode consistait en:

  • Écrire un cahier des charges, c’est-à-dire définir ce que je veux faire / dire avec mon jeu
    • Pour cela je décris le genre de scène que j’ai envie de produire avec mon jeu
  • Brainstormer sur les solutions techniques qui peuvent répondre à ce cahier des charges
  • Réunir les solutions retenues et finaliser le jeu

Comme dans tout mauvais tuto, il y a un gap ENORME entre le deuxième et le troisième point. C’est ce sur quoi on va s’attarder aujourd’hui, avec un peu de théorie en back-up.

Échouer rapidement

J’ai un problème très personnel: j’aime finaliser quelque chose avant de le tester (j’écris des tonnes de trucs, je fais les illustrations, les mises en page, le fiches, etc.). Et ce comportement est contre productif à mort ! (mais vraiment à mort !)

Depuis peu, je me force à faire vite pour échouer vite. En effet, les premières idées sont rarement les bonnes (ou en tout cas sont rarement dans leur forme finale) et il faudra itérer un certain nombre de fois !

C’est là que je ressors les concepts de crashtest et de darwinisme ludique.

Contrairement à un playtest où je fais jouer des parties entières, je m’organise des crashtests tout au long des itérations du projet. Ces crashtests ont pour but de valider une idée précise, une brique élémentaire de mon jeu. En gros, dès qu’on a une idée, on se cale 30 minutes pour tester cette idée de manière individuelle.

Par exemple, dans Héros d’Argile, on voulait avoir un élément physique (dans la vraie vie) qui se découpait ou qui se déchirait durant le jeu. On a fait des tests avec divers éléments de la fiche de personnage, du plateau de jeu, des cartes Sidekicks, etc. A chaque fois, on s’est mis dans une situation fictionnelle donnée:

  • on énonce la situation
  • on fait 1 minute de silence pour s’immerger un minimum
  • et on joue

On a testé quelques concepts comme cela. A la fin, on a retenu le fait de déchirer une partie de la fiche de personnage lorsque les causes du héros étaient remises en question.

En fait, on procède à un sélection semblable à l’évolution, d’où le terme de darwinisme ludique. Pour une brique élémentaire du jeu, on itère jusqu’à ce qu’on soit satisfait.

Attention cependant, l’optimum global n ‘est pas la somme des optimums locaux ! Autrement dit, ce n’est pas parce que toutes les briques élémentaires sont virtuellement « parfaites » que l’assemblage des briques élémentaires tiendra la route.

Je reviendrai sur les sujets des playtests et de l’harmonie globale des mécaniques dans le prochain épisode. Ici, on s’intéresse à l’échelle locale: les briques élémentaires.

Comprendre son jeu: flirter avec le modèle LNS

Donc là, on a un cahier des charges et on commence à brainstormer. On commence à crash-tester nos idées de mécanique et on juge « au doigt mouillé » si ça nous plaît.

Sauf que bon, au mieux on va trouver les bonnes briques élémentaires au pif au bout de quelques itérations, au pire on va faire énormément (beaucoup trop !) de crashtests avant de tomber sur ce qui nous convient. Bof comme méthode !

Souvent, je lis qu’il faut « beaucoup jouer », « beaucoup lire », « lire de tout », « copier pour s’approprier », etc. Tout cela est vrai. Bien sûr, il faut lire et jouer à pleins de jeux pour tenter de comprendre comment les mécaniques s’imbriquent. Sauf que là, on est dans un article de méthodo et que dire qu’il suffit de lire beaucoup n’est peut être pas satisfaisant. En fait, en disant cela, on ne nous dit pas:

  • quoi lire ;
  • ce qu’il faut retenir de nos lectures.

On va donc cherche du côté des théories et répondre à ces questions:

  • Comment orienter son brainstorming dans la bonne direction ?
  • Que retenir de nos lecture ?

Bon, OK. On s’y met.

Comprendre son jeu et ce qu’il requière est un bon début.

Commençons par là. Pour ce faire, faisons le tour de ce que peut être un JDR.

Dans cet article de Ron Edwards, le gus nous dit qu’on peut trouver dans les jeux plusieurs « intentions »: Ludiste, Narrativiste, Simulationniste (modèle LNS, ou GNS en anglais).

Dans cet article de John H. Kim, on retrouve une définition que j’aime bien de chaque terme:

Ludiste : ce style valorise la création de défi digne de ce nom aux joueurs (et non aux PJ). Ce défi peut être du combat tactique, des énigmes à résoudre par l’intelligence, de la politique, ou n’importe quoi d’autre. Les joueurs vont tenter de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés, et en retour le MJ fera en sorte qu’il soit possible de surmonter l’obstacle si les joueurs agissent intelligemment dans les limites du contrat.

Narrativiste : ce style valorise la création d’une histoire satisfaisante à travers les actions à l’intérieur de la partie. Plusieurs sortes d’histoires peuvent être perçues comme satisfaisantes, selon les goûts de chacun, ce qui va de l’extravagante action pulp au drame psychologique réaliste. C’est le résultat final de l’histoire qui compte.

Simulationniste : ce style veut que les événements en cours de partie soient résolus seulement à partir d’éléments internes à l’univers de jeu, sans qu’aucune considération de méta-jeu ne vienne affecter la décision. Ainsi, un MJ complètement simulationniste ne trafiquera pas les résultats pour sauver les PJ ou pour sauver son intrigue, ou ne modifiera même pas des faits inconnus des joueurs. Un tel MJ peut utiliser des considérations de méta-jeu pour répondre à des questions de méta-jeu, comme qui jouera quel personnage, doit-on interpréter une conversation mot pour mot, etc. mais pour résoudre les événements du jeu proprement dits, il se basera sur ce qui se passerait “réellement”.

Moi j’aime bien résumer ces concepts comme ça:

  • Ludiste: Tu lances les dés et tu fais « wooooooo » sur un bon résultat parce que tu sais que c’est un coup critique et que tu connais tes dégâts
  • Narrativiste: Un PJ fait une action et la table fait « woooooooo » tellement c’est dans le flow de l’histoire
  • Simulationniste: Un PJ fait une action et la table fait « wooooooo » tellement c’est raccord avec l’univers, les faits antérieurs, la culture de « ce » peuple, etc.

Bon c’est mon résumé à moi et c’est très très vulgarisant (oui je suis un mec vulgaire).

Petite précision: un jeu présente souvent chaque aspect du LNS en quantité plus ou moins grande. Par exemple, Pathfinder est plutôt L et S. Terres de Sang, c’est N à fond. Et puis parfois, on ne peut pas décrire un jeu à 100% avec ce modèle.

Donc là on a un début de réflexion. Ce modèle n’est pas parfait et il est voué à être dépassé dans le monde des théoriciens, mais il a le mérite de commencer  la réflexion.

Si on reprend notre processus créatif, on était en train de faire des crashtests. Maintenant, je sais que pour répondre à mon cahier des charges, je peux m’appuyer sur le modèle LNS:

  • Mon jeu aura plus de L, de N ou de S ? (en sachant qu’on ne peut pas avoir les 3 potards à fond)
  • Ma mécanique est plutôt L, N ou S ?
  • Du coup, ma mécanique est elle pertinente dans mon jeu ? (crash-tester à fond)

Un autre moyen de brainstormer, c’est de prendre les jeux qu’on connaît et de le déconstruire: tient Pathfinder c’est plutôt L et S parce que bla bla bla… Puis en reprenant des éléments à son propre compte, on peut trouver ou améliorer une mécanique.

Par exemple dans Terres de Sang, la phase de Conflit est clairement affilié à Inflorenza Minima de Thomas Munier.

Autre exemple: tient dans Pathfinder, on lance 1d20 et rajoute un tas de bonus. Du coup, ces bonus font qu’on se sent compétent. Et plus on a optimisé son personnage plus on se sent compétent: c’est du Ludisme à fond ! Bon et bien si dans mon jeu, je mets une mécanique de « bonus » (qu’on peut optimiser) à ajouter à des lancés de dés, il y a des chances pour que le résultat soit « L » aussi. Est-ce que c’est pertinent pour mon jeu du coup ? Etc.

Vous commencez à voir le cheminement…

PS: pour aller plus loin. La LNS s’inscrit dans un cadre théorique plus large (qui est aujourd’hui est voué à être dépassé selon leurs auteurs). Si vous voulez en savoir plus:

Quatre articles de Ben Lehman sur cette théorie (le premier article se trouve ici. Vous serez dirigé vers les autres).

Un article de Frédéric Sintes qui propose sa réflexion autour de ce modèle

Atomistique de Thomas de Munier

Voici un autre exemple de découpage conceptuel des JDR qui peut nous aider dans notre création. (PS: c’est un découpage qui diffère de la LNS mais qui n’est pas antagoniste)

Thomas Munier propose dans 5 loooooongs podcasts sa classification des JDR:

  • Jeu Esthétique qui met en valeur le fait de raconter (une histoire, un univers, des personnages) avec style et cohérence.
  • Jeu Social qui met en valeur les interactions entre les joueur / joueuse.
  • Jeu Tactique qui met en valeur les défis et épreuves qui nécessitent la logique, l’astuce, l’intuition ou l’inventivité des joueur / joueuses.
  • Jeu Moral (1 et 2) qui met en valeur les objectifs, les valeurs, les devoirs, les désirs et les attaches des personnages.

Personnellement, j’aime beaucoup ce découpage. Les jeux que nous produisons sont en général des jeux « moraux et esthétiques ».

Même chose ici pour le processus créatif:

  • commencez par vous demander dans quel cadre votre jeu s’inscrit
  • demandez vous si les mécaniques que vous testez s’inscrivent dans la démarche adéquate

Bon, on va s’arrêter là pour les découpages théoriques des propositions créatrices des JDR. Vous avez l’idée, je crois.

Avant de terminer l’article, j’aimerai dire un mot sur les joueurs, vous savez, ces gens qui JOUENT à notre jeu…

Non au diktat de l’auteur

Jusque là, nous nous sommes placés du point de vue de l’auteur: cet être au dessus de tout qui béni la plèbe de ses saintes écritures (son jeu). Cette image est ridicule n’est ce pas ?

En fait, l’auteur et l’interprétation de ses écrits ne sont qu’une infime portion du processus qui consiste à créer une fiction en JDR. Une partie de JDR, c’est une discussion entre des gens, qui ne connaissent pas l’auteur en général, ni ce qu’il avait en tête lors de la création du jeu.

Dire que les joueurs ne « jouent pas au jeu » lorsqu’ils ne respectent pas scrupuleusement toutes les règles du jeu dans les détails, c’est selon moi ce en quoi consiste le « Diktat de l’auteur« . C’est un poil prétentieux en plus !

C’est pourquoi j’aimerai faire une parenthèse ici sur l’apport des joueurs.

Certains, comme Thomas Munier dans cet article, pensent que ce sont les joueurs qui font le jeu: « players do matter » au lieu de « system does matter ». Il a également écrit un article qui s’intitule « Toute partie de jeu de rôle est une trahison » et qui raconte comment il est impossible de retranscrire sur table à 100% les règles d’un jeu.

En gros, j’aime à dire que:

  • Le JDR est une pratique volatile, basé sur le langage et instantanéité
  • Il est difficile de suivre scrupuleusement 100% des règles: les joueurs apportent forcément des éléments personnel
  • Corollaire: il n’y a pas l’ensemble des règles nécessaires pour faire une partie de JDR dans un livre de règles.

Bref, l’émergence (et parfois la débrouille) est centrale dans une partie de JDR.

C’est quelque chose que j’ai eu personnellement beaucoup de mal à jauger au départ. Moi qui aime les jeux de plateau, j’avais tendance à cadrer l’expérience de jeu au maximum afin de transmettre une expérience TRÈS (trop) précise.

Aujourd’hui, je suis un peu plus souple sur ce sujet (l’âge me direz vous ?). Je pense que les règles doivent cadrer une expérience de jeu mais que l’émergence doit avoir une place centrale. Dans mon processus créatif, je considère les règles du jeu comme des outils, plutôt que comme des règles. Cet article compare les règles du jeu à un GPS.

Mais comment traduire cela dans le game design ? En fait, je vois les choses comme cela:

  • Les briques élémentaires cadrent l’expérience locale (à un instant t)
  • La somme des briques élémentaires forme l’expérience globale (l’ensemble de la partie)

Si les briques élémentaires n’offrent que peu d’espace de liberté, c’est l’intersection de ces briques (le système au complet) qui va pouvoir faire apparaître l’émergence. J’en parlerai plus longuement la fois prochaine.

Bref, ce chapitre était plutôt un passage militant: chers créateurs, s’il vous plaît, laisser de la place à l’émergence dans vos jeux. Faites confiance à vos joueurs.

En fait, écrire un JDR, c’est comme élever des gamins.

Il faut cadrer, énoncer des règles, mais laisser les joueurs faire à leur sauce aussi. Oui c’est putain de paternaliste, mais j’assume (sauf qu’il faut enlever les notions de « bien » et de « mal » qu’on enseigne aux gamins et qui sortent du contexte de l’écriture d’un JDR – of course).

Allez, on va se quitter sur ces belles paroles. La fois prochaine, je vous parlerai de pédagogie Montessori… euh non… Je vous parlerai de l’ensemble des règles qui composent un système, de l’émergence et de comment gérer les playtests.

A bientôt !

La suite se trouve ici !

Créer son jeu de rôle (1) – Ma méthode

Salut les gens ! Pour bien commencer 2018, voici une série d’articles qui oscillent entre théorie et méthodologie. Pour info, je reprends et revisite mon article qui parlait de méthodologie (et qui nécessite un bon décrassage). Pas besoin de lire ce dernier, on va reprendre du début !

C’est parti.

Ne vous êtes jamais posé les questions suivantes :

Mais diantre, comment créer mon jdr ?

J’ai des idées, un univers, mais comment j’en fais une base de jeu ?

Et bien, nous allons répondre à ces deux questions !

Ce que vous allez trouver dans ces articles

Cette série d’articles part de plusieurs constats:

  • Le coût d’entrée dans les théories rolistes est très élevé. J’ai moi même travaillé les questions théoriques pendant très longtemps avant de m’y retrouver ! J’aurai aimé trouver des ressources pédagogiques à l’époque.
  • Le lien entre théorie et pratique, et plus précisément entre théorie et processus créatif, est difficile à faire. Entre le savoir et le savoir-faire, il y a souvent un gap.
  • J’aurai aimé trouver un journal de bord d’un créateur de jdr en langue française ou toute sorte de documentation du processus créatif. Malheureusement, je suis resté bredouille sur ce sujet (mais j’avoue ne pas avoir cherché à fond non plus).

Bref, j’ai envie de donner mes deux centimes sur la question. J’aimerai dans cette série d’articles:

  • Donner ma méthode création de jeu, ma recette secrète ;
  • Documenter le processus créatif, de l’idée de départ jusqu’à la publication ;
  • Faire le lien entre les articles théoriques que je lis et leur application concrète dans mon cas précis ;
  • Donner des tuyaux, des infos pratiques, sur ce que je fais (monter des playtests, s’y retrouver dans les licences creative commons, trouver des illustrations, faire de la mise en page, maîtriser Lulu.com, etc.).

A qui s’adresse ces articles ?

J’ai conscience que ce genre d’article risque de ne pas intéresser tout le monde. En tout cas, je construis cette série de telle sorte à ce qu’un « débutant » puisse s’engager dans le processus de créer un jeu publiable dans un temps raisonnable. Ainsi, si vous êtes un vétéran du modèle GNS et si vous êtes familier du jargon théorique végano-narrativiste, j’ai bien peur que vous ne trouviez pas votre compte dans ces articles qui seront vulgarisant.

De même, si pour vous, un jdr c’est un univers et un système de règles génériques (l’éternel d20 VS d6), passez votre chemin car nous allons nous prendre un peu la tête sur ce qui peut être considéré comme du « branlage de mouche ».

Bref, je m’adresse à toi (et tu es peut-être pas nombreux) qui veut faire un jdr publiable et qui n’a pas encore mis les pieds dans l’univers fascinant des théories rolistes.

Aller ! On a du pain sur la planche !

Réaliser que tout est important.

Avant de commencer à blablater sur ma recette miracle, j’ai envie de passer un peu de temps, en guise d ‘introduction, à pointer du doigt quelque chose de primordial pour se lancer dans la théorie roliste:

Aucun choix n’est anodin dans l’écriture d’un jdr.

Tout est important. De la fiche de personnage aux « règles » du jeu, de l’univers à la manière de transmettre le jeu. Tout est important dans le sens où l’ensemble des choix qui constituent un livre de jdr conduisent à une certaine manière de jouer à ce jeu.

Juste pour prendre un exemple: considérons la fiche de personnage de Pathfinder:

Outre le fait que c’est compliqué, que décrit-elle ?

  • Les capacité physiques, mentales et sociales d’un personnage de manière intrinsèque (son inné) ;
  • Les choses qu’il a apprises comme les compétences, les sorts, etc. (son acquis) ;
  • Son équipement.

On a à faire à une fiche qui renseigne déjà pas mal sur la philosophie du jeu, sans même lire le livre de règles. En observant la fiche, on peut déjà dire que:

  • Le jeu se focalise sur ce qu’un personnage SAIT faire, pas sur ses émotions ;
  • Le jeu est calculatoire (au moins à la création de personnage) ;
  • Le jeu risque d’être martial (au vue de l’importance accordée aux armes, aux protections et aux sorts (50% de l’espace sur 2 pages).

Et puis, le jeu fait la différence entre l’inné et l’acquis.

Bon, en disant tout cela, on n’a pas dit grand chose sur Pathfinder (qui est tout de même sacrément complexe). Toujours est-il que tous les choix sont importants lorsqu’on crée. Tous les choix, même les plus évidents comme:

  • la présence d’un MJ ;
  • le fait de lancer des dés ;
  • le fait de devoir parler à la première ou à la troisième personne ;
  • le fait de dire qui a l’autorité sur la fiction (le mj, les joueurs ?) ;
  • la mise en page du livre de base ;
  • etc.

OK. C’est dit ! Pour le moment gardez simplement en tête qu’aucun choix n’est anodin…

C’est bien beau tout ça. Réaliser que tout est important. And so what ?

Et bien pas grand chose. Et beaucoup à la fois. C’est un état d’esprit qu’il faut, à mon sens, avoir lorsqu’on crée un jdr. Avant de se lancer dans l’écriture de centaines de page de background ou dans la confection d’un système compliqué avec multiples lancés de dés explosifs, je me pose toujours cette question:

Est-ce que ce que je fais est utile pour ce que je veux ?

(PS: petit article sur la nécessité de se demander « pourquoi cette règle existe ? »)

De la nécessité de savoir où on va

Du coup, pour créer le jdr de nos rêves, et bien il faut définir nos rêves. C’est la première étape de ma recette secrète à créer des jdr à succès (hum hum). Ainsi, avant toute chose, avant l’univers ou les éléments de règles, je commence par me poser la question suivante:

Quelle genre de scène j’ai envie d’avoir dans mon jeu ?

Par exemple dans Terres de Sang, je voulais:

  • avoir des scènes où un PJ se surpasse pour explorer un lieu inconnu. Ce faisant, il révélerait une partie de son passé (par des flashbacks par exemple) aux autres.
  • avoir des scènes où les certitudes du PJ seraient brisées par ce qu’il a vécu sur le Nouveau Continent. Il aurait alors un choix moral à faire: rester le même ou changer. Dans les deux cas, il perdrait quelque chose.

Je rajoute souvent des références à des livres, des films ou des scènes dans des parties de jdr auxquelles j’ai participé. Dans le cas de Terres de Sang, on peut penser à The Fountain, Vendredi ou la vie sauvage, certaines partie d’Inflorenza Minima, etc.

Pour Damnés, que nous sommes en train d’écrire, j’ai en tête des scènes d’anciennes parties de jdr qui m’ont marquées. En particulier, lors d’une campagne de Vampire, il y avait cette scène où Wata (une PJ) qui avait l’emprise mentale sur un humain l’a délibérément laisser partir parce qu’elle se rendait compte qu’elle lui faisait du mal. Un moment émouvant, sincère et profond que j’ai envie de reproduire dans notre prochain jeu (qui se focaliserait vraiment sur l’exploration de la noirceur intime des Damnés). Le passage se trouve ici (c’est écoutable même sans contexte et le passage où Wata libère Daniel donne des frissons):

En bref, c’est le moment de brainstormer sur les trucs cools que vous voulez avoir dans votre jeu.

A cette étape, je me laisse en général très peu de temps afin que mon projet ne soit pas un amas de choses que j’ai envie de faire sans que ne puisse en voir le bout. Idéalement, je devrais pouvoir résumé mon jeu en 2 phrases:

  • Dans mon jeu, on joue ça
  • Et le truc le plus cool dans mon jeu c’est ça.

OK. Ca c’est fait !

Et maintenant ?

Choisir les bons éléments pour respecter le cahier des charges

Bon là ça se complique. On sait ce qu’on veut mais on ne sait pas encore comment le mettre en œuvre. Il y a une tripotée de choses à mettre en place, mais globalement, je les découperai en deux catégories:

  • Les mécaniques dures: ce sont les règles écrites en dur et qui nécessite une action du joueur pour la mettre en oeuvre (exemple: lorsque le PJ est en danger, lance un dé).
  • Les mécaniques molles: ce sont les règles implicites, les conseils de jeu, le feeling dont découlent certains comportement. Quelques exemples:
    • Dans ce monde, il y a de la magie. Ceci impose une manière de penser que le joueur adoptera en incarnant son personnage.
    • Faites une longue pause après avoir raconté quelque chose. Ceci impose un « flow » qui tend vers des parties plus « zen » (je caricature à mort mais vous avez l’idée).

Bon et bien on va s’attaquer à ces aspects !

Avant toute chose, un peu de saine lecture: cet article de Frédéric Sintes qui définit le système. Il y a là déjà pleins de questions qu’on peut se poser: qui dit quoi, quand, comment, qui tranche les conflit, comment, etc. ? (PS: voici un autre article du même gus, pour la détente, sur les niveaux d’un système.)

Dans la suite, je vais utiliser le vocable de Frédéric Sintes.

Le système de jeu

Donc le système, ce n’est pas seulement les règles de résolution d’une action, mais bien l’ensemble de règles qui régissent une partie.

A priori, on pourrait dire que:

  • Puisqu’une mécanique engendre un effet;
  • Il suffit de mettre des mécaniques bout à bout pour obtenir un système, en veillant à couvrir le spectre le plus large possible dans les situations probables de mon jeu.

Oui, mais non. Car comme des engrenages, les mécaniques doivent bien s’imbriquer pour faire ressentir aux joueurs la sensation voulue.

Sauf qu’à priori, on n’a aucune idée de comment ces règles s’imbriquent tant qu’on n’a rien mis sur la table. Je préconise donc, dans un premier temps, de poser une règle par effet désiré, sans se préoccuper de synergies ou d’anti-synergies. On verra ce dernier point dans un second temps. Pour le moment, je colle des mécaniques que je connais à mon cahier des charges (c’est là que la connaissance roliste devient importante).

Premier exemple simple,  j’ai envie que mes joueurs se sentent puissants lorsqu’ils font une action. Je peux utiliser un système à la Vampire la Mascarade: jeter une brouette de 1d10 et compter les réussites. Le fait de jeter une tonne de dés peut donner un sentiment de puissance, du fait du nombre de trucs en plastique qui s’entre-choquent.

Autre exemple plus pointu, ai-je besoin d’un MJ dans mon jeu ? Et oui, le MJ, c’est comme les antibiotiques, c’est pas automatique ! Le fait d’avoir un MJ dans un jeu impliquent un tas de raisons qu’on met souvent sous le tapis, car on est habitué à ce mode de jeu. Bref, on peut légitiment se poser la question:

Est-ce que le fait d’avoir un MJ et des joueurs pertinent dans notre démarche ?

Pour Damnés, ce schéma traditionnel a ses limites car le MJ ne peut pas savoir ce que pense les joueurs (ni les PJ). Pour que le jeu fonctionne, il faudrait que les sentiments des PJ puissent influencer les scènes dans lesquels ils vont apparaître. Si le MJ me propose une situation qui ne m’intéresse pas, je ne risque pas de m’impliquer émotionnellement (et c’est ça que je cherche dans Damnés: l’implication émotionnelle). Mais, je ne souhaite pas non plus que les joueurs définissent leurs propres scènes (j’aime bien l’interprétation d’un PNJ par le MJ et les faces à faces que cela peut engendrer). Moralité: j’opte pour un système avec un MJ mais qui va devoir intégrer des éléments importants de « feedback » du joueur vers le MJ et les autres joueurs. Je ne sais pas encore quoi, mais je sais que ça va être capital.

De cette première question vont en découler des dizaines d’autres. C’est un bon point de départ, à mon avis parce que les choses se déroulent assez facilement ensuite.

Que j’ai choisi un système sans MJ (comme dans Terres de Sang ou T.A.N.G.O.) ou avec un MJ (ou même avec plusieurs MJ et un seul joueur comme dans Héros d’Argile), je me pose dans un premier temps les questions suivantes:

  • Qui décrit quoi ?
  • Qui a le dernier mot sur le décor ? sur les PJ ? sur les figurants ?
  • Les PJ doivent-ils avancer vers une résolution ? Comment font-ils cela ?
  • Qui impose les obstacles ?
  • Qui résout les conflits ? Comment résout-on les conflit ? (Hasard, prix à payer, etc.)
  • En tant que joueur, comment je sais quand prendre la parole et pour dire quoi ?
  • Etc.

De ces questions vont découler un certain nombre de réponses qui vont constituer un socle de départ.

Par exemple dans Damnés, je sais que:

  • Il y a un MJ et des joueurs ;
  • Les joueurs impulsent les scènes (qui, quand et où) et le MJ en a la responsabilité ensuite en interprétant décor et figurant ;
  • Le MJ propose les conflits ;
  • La résolution des conflits n’est pas aléatoire mais va dépendre de l’état émotionnel du PJ (et là ça fait tilt dans ma tête: je vais axer mon gameplay sur l’axe émotion VS action. Je pars ensuite sur une phase de brainstorm.) ;
  • Etc.

Bon, je me suis un peu étendu sur ce dernier point, mais voyez à quel point aucune décision de design n’est anodine !

Bref, prenez le temps de bien savoir où vous allez et commencer à prendre vos premières décisions de design, vos premières briques de mécaniques…

Bon, on va s’arrêter pour aujourd’hui. Vous avez un bonne idée de la direction de votre projet à ce stade. La fois prochaine, je parlerai un peu plus de théorie et de comment s’en inspirer pour créer des solutions techniques.

La suite de l’article se trouve ici !

 

Bonne année 2018

Tient, comme c’est original ! Bonne année, gna gna gna, santé, bla bla bla, bohneur, tout ça ! Bon c’est vrai, c’est cliché. Mais le début d’année est aussi un bon moment pour regarder en arrière et voir ce que 2017 nous a réservé. Et puis de regarder devant aussi (toujours regarder des deux côtés avant de traverser) pour se motiver et se lancer dans 2018.

En 2017:

  • Nous avons sorti Terres de Sang (yeah !). Après de loooongues années de développement (et de doutes aussi), nous avons péniblement accouché de notre bébé rolistique. Mais le chemin en valait la peine !
  • Nous avons participé au Game Chef 2017 avec Héros d’Argile et nous sommes allés en final. Qui l’eut cru ! Deux ans d’affilé ! Nous comptons bien prendre en compte les retours, faire des playtests et sortir une version bien plus aboutie du jeu.
  • Je me suis un peu moins investi sur les Courants Alternatifs (vie familiale oblige).  C’est un réel regret. 2018 ne semble pas s’améliorer. Mais j’y reviendrai, j’ai des trucs à y faire: beaucoup de technique (histoire de pas laisser un site tout dégeu, refonte graphique promis il y a un an, amélioration de la bibliothèque), un peu d’organisationnel (mais les gens se débrouillent très bien et le système décisionnel roule pas trop mal en fait), un peu d’animation  (faut du temps) !
  • Notre blog a fait peau neuve. Nouvelle identité visuelle, petit ménage de printemps. Ca fait du bien et c’est joli à l’oeil.

En 2018:

  • Nous espérons faire le promo et vendre quelques Terres de Sang. Seulement 2 copies vendues en 2017 (un pdf et un livre papier). C’est pas beaucoup ! On en tire les leçons: la promo ça se fait pas tout seul. C’est de la sueur et des kilomètres de voies ferrées – conventions, démonstrations en live ou en virtuel, etc. Et parler de soi, c’est pas facile. Se vendre, ça s’apprend !
  • Même si la refonte de Héros d’Argile n’est pas une priorité, nous y pensons. Surtout depuis que nous nous sommes mis aux comics pour de bon. Si c’est 2018, alors ça sera fin d’année.
  • Bon grosse annonce: nous avons mis à plat nos campagnes de « vampire » et nous allons sortir un jeu intitulé Damnés. Pour le moment, je n’en dis pas plus. Mais ça viendra très bientôt. Allez, je lâche l’intro et la page de couv’. Attendez vous à voir débarquer le jeu d’ici fin d’année !

Portez vous bien en 2018. Puisse-t-elle être l’année des découvertes rolistiques !

Damnés propose de jouer le drame de la vie éternelle. C’est un jeu moral et mélancolique dans lequel vous incarnez un Damné, un être immortel rongé par la Bête évoluant au sein d’une société dysfonctionnelle. Tenter d’assouvir ses Désirs sans faire du mal à ceux qu’on aime, sans réveiller la Bête, prendre parti dans les réseaux d’influence des Damnés et garder un semblant d’humanité, voici les enjeux auxquels vous serez confronté.

Le récit de votre éternité sera ponctué de choix cornéliens, de moments de bravoures, de sacrifices, de tranches de vie et d’instants de grâce. Loin des histoires de héros, vous tenterez simplement de vivre, ou survivre, comme un être ordinaire frappé par l’extraordinaire.

Damnés est un jeu de rôle:

  • Sans dés ;
  • Avec un meneur de jeu ;
  • Nécessitant un minimum de préparation ;
  • Centré sur les personnages, leurs liens, leurs affects et leurs drames ;
  • Qui explore la Bête et l’horreur personnelle qu’elle engendre ;
  • Jouable en campagne ;
  • Largement collaboratif dans la construction de la fiction.

Damnés n’est pas un jeu:

  • D’action héroïque ;
  • Centré autour de manoeuvres politiques. Même s’il en est inspiré, ce n’est ni Undying, ni Vampire la Mascarade ;
  • Dans lequel le meneur règne en seul maître ;
  • Purement esthétique.

 

Par angeldust, il y a